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triomphe ! quelles ressources matérielles et quels trésors ses mains n’allaient-elles pas puiser dans ses magasins et ses arsenaux ! Venise perdue, tout devenait possible. On connaît l’histoire de ce roi Rodrigue pleurant sa défaite au milieu des débris de sa puissance, énumérant le soir de la bataille les armées, les citadelles, les châteaux, les immenses richesses qu’il avait le matin et qu’il n’a plus. Tel on se représente le vieux Radetzky à cette heure suprême. « Qui me dira des nouvelles de Mantoue ? Vérone tient-elle encore pour l’empereur ? l’Autriche a-t-elle bien encore un empereur ?… » Par Crémone, Manerbe et Montechiari, il se précipite sur le Mincio ; à Crémone, Dieu soit loué ! il avait appris que Mantoue, quoique réduite aux plus terribles extrémités, jusqu’alors n’avait point mis bas les armes.

Que se passait-il à Mantoue ? Cette importante forteresse avait, comme toutes les places fortes du royaume lombardo-vénitien, subi les conséquences d’une paix de plus de trente années, c’est-à-dire qu’on s’était borné aux réparations les plus indispensables pour l’empêcher de crouler de fond en comble. La plus grande partie du matériel de guerre, avariée par le temps, n’avait été ni réparée ni remplacée. Du reste, point d’approvisionnemens, et quant aux munitions, il les fallait aller chercher à deux lieues de la citadelle, dans des magasins à poudre disposés pour les temps de paix. L’état de la garnison, d’ailleurs très peu nombreuse, et que venaient de compléter des recrues italiennes fraîchement arrivées de Brescia, était des moins rassurans vis-à-vis d’une population effervescente et dont la nouvelle des journées de mars à Vienne avait porté le patriotisme jusqu’à l’ivresse. Le général Gorczkowsky, qui commandait la forteresse, sentant le côté critique de sa position, évitait soigneusement toute espèce de conflit avec la ville. Les choses en étaient là quand on apprit que le général attendait le régiment Ferdinand d’Esté, qui, revenant de Modène et Parme, devait passer par Mantoue. Aussitôt le comité révolutionnaire de dépêcher partout des émissaires pour enlever les ponts, barricader les routes, et rendre impossible l’arrivée des auxiliaires impériaux. Gorczkowsky, de son côté, envoie pendant la nuit un détachement chargé de faciliter le passage du Pô à ce régiment, sur lequel reposent désormais toutes ses espérances. Informé de cette mesure, le comité redouble d’activité pour la faire échouer, et bientôt le général voit apparaître une députation qui le somme de rendre la forteresse. Repoussés avec hauteur par le commandant, les membres de cette députation se répandent dans le peuple et se mettent à l’exciter au combat. Aussitôt le signal est donné, et des barricades s’organisent à la porte Ceresa, par où doit entrer le régiment d’Esté.

Cependant, à l’aide du détachement envoyé à sa rencontre, le régiment