Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amiral Cochrane prit possession à main armée de cet îlot, placé comme un bastion sur la route de Singapore à Hong-kong. On n’a point oublié les doléances qui accueillirent cette usurpation en Hollande, et l’ardente convoitise qu’éveillèrent en Angleterre les pompeux programmes de M. Brooke.

Au milieu de cette émotion, M. de Rochussen courut au plus pressé. Il se hâta de définir par un acte administratif les territoires de Bornéo dont la Hollande, en vertu de traités formels, pouvait réclamer la suzeraineté ou la possession. Le dénombrement des districts entre lesquels furent divisées les résidences de Pontianak, de Sambas et de Banjermassing embrassa plus de cinq cent mille kilomètres carrés, et n’en laissa pas deux cent mille aux souverains indépendans. C’était restreindre à tout hasard la part qu’il faudrait peut-être un jour abandonner à une ambition rivale. L’intérieur de l’île fut en même temps exploré par des commissions scientifiques. La Hollande, qui, depuis 1816, s’était contentée, vis-à-vis de Bornéo, d’une suzeraineté dédaigneuse, ne parut avoir, depuis l’occupation de Laboan, aucune autre possession plus à cœur. Cette sollicitude, n’eût-elle été qu’apparente, eût encore eu ses avantages : la Hollande eût ainsi écarté le reproche de mettre en interdit, par ses prétentions, des territoires dont elle ne voulait ni ne pouvait tirer aucun parti ; mais le zèle de M. de Rochussen en faveur de Bornéo était réel. Ce fut aux explorations qu’il encouragea que les Indes néerlandaises durent la découverte ou du moins la première exploitation sérieuse des mines de houille de Banjermassing, ressource inestimable pour les progrès pacifiques et pour la défense militaire de la colonie. L’occupation de Laboan eut donc cet heureux effet d’obliger la Hollande à porter ses regards et son action administrative jusqu’aux extrémités les plus reculées de son immense empire. L’événement, du reste, ne justifia ni les craintes du peuple hollandais, ni les espérances de la presse britannique. Les Anglais ne trouvèrent point «dans Bornéo un marché insatiable pour consommer leurs produits et des richesses intarissables pour charger leurs navires[1]. » Les Hollandais ne furent point inquiétés dans leurs possessions, et le sultan de Bruni lui-même fut maintenu sur son trône. On vit alors le prestige qui avait un instant entouré M. Brooke et son entreprise pâlir insensiblement, puis enfin s’évanouir.

Ce fut surtout dans la question de Bali que M. de Rochussen fit preuve à la fois de prudence et d’audace. Il n’ignorait ni les dépenses, ni les périls dans lesquels il allait s’engager : il alla sans hésitation au-devant des difficultés de l’avenir. Sur un territoire dont la superficie est d’environ six mille kilomètres carrés, l’île de Bali,

  1. Times du 2 octobre 1846.