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Donington, lorsque lord Moira, avec cette haute courtoisie qui le distinguait, me conduisit lui-même dans ma chambre. Cet imposant personnage marchait devant moi. Il traversa la longue galerie, tenant lui-même à la main mon bougeoir, qu’il me remit à la porte de ma chambre. Je trouvais cela très beau et très grand, mais cela m’embarrassait beaucoup. Je ne prévoyais pas alors combien je me trouverais un jour chez moi et à l’aise dans cette grande maison. » Sous le patronage de lord Moira, Moore mena de front ses plaisirs et ses affaires. Il fit imprimer l’Anacréon à ses frais et s’occupa de recueillir des souscriptions. Il eut bientôt la certitude de tirer par cet arrangement plus de 100 guinées de son livre. Un grand helléniste, le docteur Lawrence, se chargea de revoir sa traduction, et, à son intention, composa une ode en grec. Il faut voir comme tout se mêle, au milieu de naïves bouffées de joie et d’orgueil, dans ses lettres à sa mère : « Je vais dîner, et puis je vais ce soir à deux assemblées. Voilà comme nous vivons à Londres : pas moins de trois par soirée. Vive la bagatelle ! au diantre la mélancolie ! » — « Ma chère mère, j’ai obtenu le nom du prince (le prince de Galles) et la permission de lui dédier Anacréon. Hourra ! hourra ! » — « J’attends ma présentation au prince. J’ai rencontré son frère William, l’autre soir, dans une réunion très élégante chez lady Dering, et je lui ai été présenté. Une jeune personne m’a dit qu’il lui a fait des questions sur moi, ma naissance, ma parenté, etc., avec la curiosité ordinaire de la famille royale. J’ai été obligé, ce soir-là, de chanter deux fois chacune de mes chansons. Avant-hier, j’étais d’un splendide déjeuner donné par sir John Coghill : nous avons eu de la charmante musique. J’ai chanté plusieurs choses avec lord Dudley et miss Cramer. J’ai été présenté dans cette maison par lord Lansdowne. » — « J’ai été présenté hier (4 août 1800) à son altesse royale George, prince de Galles. C’est incontestablement un homme de manières fascinatrices. Quand je lui ai été nommé, il m’a dit qu’il était très heureux de connaître un homme, de mon talent, et quand je l’ai remercié de l’honneur qu’il m’avait fait en acceptant la dédicace d’Anacréon, il m’a arrêté, disant que tout l’honneur était pour lui d’avoir pu attacher son nom à un ouvrage de ce mérite. Il a ajouté que l’hiver prochain, quand il retournerait en ville, nous aurions, lui et moi, plus d’occasions de jouir de notre société, qu’il aimait passionnément la musique et avait entendu parler depuis longtemps de mon talent en ce genre. Tout cela n’est-il pas fort beau ? Mais il m’en a coûté un habit neuf. La présentation a été si longtemps ajournée, que mon vieil habit est devenu honteusement laid. Il a fallu commander un habit neuf et qu’il fût fait en six heures. Je l’ai eu par un biais économique : j’ai donné au tailleur 2 guinées et le vieux, le prix d’un