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Le traité du 17 mars 1824 était la reconnaissance la plus éclatante, la consécration la moins équivoque des droits de la Hollande sur les anciennes possessions que s’était attribuées la compagnie des Indes. Si l’Angleterre se fût montrée aussi fidèle à l’esprit qu’à la lettre de ce traité, les côtes de Bornéo n’auraient jamais vu le pavillon de la Grande-Bretagne flotter sur l’île de Laboan, et un officier anglais arracher à la faiblesse du sultan de Bruni le titre de rajah de Sarawak ; mais au moment même où le gouvernement des Pays-Bas s’applaudissait de l’heureuse issue de ces négociations, sa puissance coloniale était appelée à subir une nouvelle crise bien autrement grave que toutes celles qui l’avaient précédée. Cette fois, c’était la base même de l’édifice qui se trouvait menacée. L’administration anglaise, animée d’un sérieux esprit de bienveillance envers la population indigène, et toute préoccupée des réformes libérales par lesquelles elle voulait signaler son passage, s’était peu inquiétée de ménager les privilèges ou les moyens d’existence de l’aristocratie javanaise. Dans l’orgueil de sa force, elle avait considérablement restreint le pouvoir et les prérogatives des anciens souverains. Les Hollandais, remis en possession de Java, virent une nouvelle condition de sécurité dans cet abaissement des princes, et empiétèrent eux-mêmes hardiment sur leurs droits. Ils provoquèrent ainsi des mécontentemens qui trouvèrent bientôt un centre et un chef à la cour de Djokjokarta, où un prince enfant était confié à la tutelle de sa mère et de ses oncles. La révolte éclata sans que le résident hollandais préposé à la garde du jeune sultan eût pu la prévenir. Le chef de ce mouvement populaire était un des tuteurs du prince ; il s’appelait Dipo-Negoro, et cachait sous des mœurs austères une ambition effrénée. Sous sa direction, la révolte prit un caractère formidable. C’était une guerre de cinq années dont Dipo-Negoro avait donné le signal. La Hollande triompha enfin de cet audacieux adversaire, dont il fallut poursuivre, de montagne en montagne, les bandes insaisissables. Dipo-Negoro fut déporté à Amboine, puis à la forteresse de Rotterdam, dans l’île de Macassar. La victoire était restée à la métropole; mais un instant d’erreur, — l’oubli des ménagemens dus à la personne des princes et aux privilèges de l’aristocratie javanaise, — lui avait coûté quinze mille soldats, dont huit mille Européens, et cinquante-deux millions de francs.

Pour une administration aussi intelligente que celle de Batavia, la leçon ne fut pas perdue. Répudiant les conquêtes et les traditions de la domination anglaise, le gouvernement colonial se promit de prendre désormais pour base de sa politique les préjugés de la société indigène. Le fanatisme religieux et le fanatisme nobiliaire avaient armé contre son pouvoir la population; il n’essaya point d’ébranler leur empire, mais tenta de les gagner à ses intérêts. L’adat et le Coran