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vaudraient mieux que le roman lui-même. Un riche gentilhomme de Salerne a deux fils, Camillo et Morio. Morio est mis au couvent, et Camille va épouser la belle Antonia, une jeune fille allemande dont le père habite ces contrées. Morio s’échappe de sa cellule, devient pirate, enlève la fiancée de son frère, et la transporte dans un château bâti sur un rocher au bord de la mer. C’est ce château qui se nomme Furore et qui donne son nom au récit. Antonia devient mère de deux jumeaux, un fils et une fille. Morio, qui ne veut pas s’embarrasser des soins d’une famille, fait porter les enfans dans la résidence des parens d’Antonia; puis il court à de nouvelles aventures, abandonnant sa victime, qui meurt de faim. Les deux enfans grandissent, et tous deux sont destinés à la vie religieuse : Florestin sera moine, Rosalie entrera au couvent. L’histoire de Florestin et de Rosalie nous fait parcourir toute l’Allemagne du XVIIe siècle, et c’est là, je le répète, que M. Menzel a déployé une science qui, mieux conduite, mieux employée et débarrassée de tout ce fatras mélodramatique, eût fait certainement honneur à l’écrivain.

Il y a aussi bien du mélodrame, et vraiment je le regrette, dans une curieuse nouvelle historique de M. Léopold Schefer, la Sibylle de Mantoue. Heureusement les défauts de l’auteur sont rachetés en maint endroit par un sentiment généreux de la dignité humaine. La philosophie de M. Léopold Schefer est un panthéisme très blâmable à coup sûr au point de vue dogmatique, mais purifié chez lui par la direction morale qu’il donne à sa pensée. L’humanité est divine aux yeux de M. Schefer, il la révère, il la glorifie, il a pour elle un culte, et ce culte remplit l’âme du poète d’une affectueuse piété. On voit ordinairement deux sortes de panthéisme : le panthéisme grossier lies esprits plongés dans la matière, et le panthéisme subtil des songe-creux; celui de M. Schefer est d’une nature à part : c’est un panthéisme religieux, fervent, ascétique, j’oserais presque dire un panthéisme monacal. M. Schefer a écrit un poème qu’il a intitulé : Le Bréviaire des laïques. C’est en effet un recueil d’hymnes et de prières, un manuel de dévotion à l’usage des rares adeptes qui ont fait du panthéisme une religion austère. Quelles que soient les erreurs de M. Schefer, cette pieuse candeur de son intelligence lui assigne une place exceptionnelle; il est impossible de confondre un tel homme avec les docteurs de la jeune école hégélienne. Il y a une dizaine d’années, l’auteur du Bréviaire des laïques avait aussi confié au roman historique l’expression de ses ardentes rêveries : sa Divine Comédie à Rome retrace d’une manière émouvante la tragique fin de Giordano Bruno. On retrouvait dans son récit les religieuses extases de ses strophes; on les. retrouve encore dans la Sibylle de Mantoue. La scène se passe au XIIe siècle, au plus fort des luttes de la papauté et de l’empire. La sibylle est une jeune fille de Mantoue qui chante, qui fait des vers, qui prophétise. L’esprit invisible qui l’inspire, c’est Virgile, ce Virgile dont l’imagination populaire avait déjà fait un mystique nécromant, et que Dante allait bientôt appeler son seigneur. Avant que Dante ait pris pour guide le chantre sublime de Pollion, la sibylle de Mantoue l’invoque magnifiquement en son religieux délire. Virgile a recueilli le souffle de la prophétesse de Cumes, et il semble qu’elle le transmette à cette belle exaltée du moyen âge : Deus, ecce Deus ! Cette transmission mystérieuse, qui répond si bien aux idées de M. Schefer, lui inspire vraiment des beautés originales. Pourquoi faut-il qu’une fable bizarrement compliquée détruise