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citerai au premier rang le nom de M. Frédéric d’Uechtriz. Comme M. le baron d’Eichendorff, dont nous avons salué le retour avec joie, M. d’Uechtriz avait renoncé depuis une quinzaine d’années à la place brillante que lui promettaient ses débuts. Il s’était surtout signalé comme poète dramatique dans les dernières années de la restauration. On lui doit de beaux drames, Chrysostome, Spartacus, Othon III, surtout Alexandre et Darius, vivement applaudi à Berlin en 1828 et publié avec une préface de Tieck. Par la richesse du style et la grandeur des conceptions, M. d’Uechtriz apportait à l’école romantique un secours inattendu, et, puisque cette école recrutait encore des soutiens de cette valeur, on pouvait douter qu’elle fût en décadence. Est-ce le sabbat de la jeune Allemagne et de la jeune école hégélienne qui inspira au poète le goût de la solitude et du silence? La vérité est que, depuis 1830, M. d’Uechtriz n’a guère cessé de se tenir à l’écart. Son dernier drame, les Babyloniens à Jérusalem, est de 1836. Ame poétique et chrétienne, M. d’Uechtriz, on peut le croire, se consolait des tristes spectacles d’une littérature infatuée en faisant revivre au souffle de son imagination les époques évanouies. Le roman qu’il vient de publier est évidemment le résultat d’un long travail; on y découvre à la fois les laborieuses recherches de l’érudit et les lentes méditations du penseur. Albert Holm est une large peinture de la chrétienté au XVIe siècle. Y avait-il un sujet plus beau pour une intelligence qu’attristait la sophistique de nos jours? Là, point de railleries superficielles, point de prétentieuses impertinences; les croyances étaient mâles et les passions profondes. C’est au sein même du christianisme que se débattait la lutte. L’église était déchirée et son cœur saignait, mais le christianisme recouvrait tout; amis et ennemis y étaient attachés du fond de leurs entrailles. Le vif sentiment de ces fortes passions religieuses, voilà l’inspiration de l’auteur; tous les mérites et tous les défauts de son œuvre proviennent de cette source. Ces défauts sont nombreux. N’en est-ce pas un, et très déplaisant, que de faire intervenir sans cesse des disputes de théologie au milieu des chastes amours dont le romancier est l’historien? Albert Holm est un de ces hommes de guerre qui louaient leurs services aux princes et aux cités. Jeune, beau, vaillant, il est dévoué aux doctrines de Luther, et, lorsqu’il devient amoureux d’Agnès Breitinger, la fille du bourguemestre de Francfort, il cherche à la convertir à sa foi avec l’érudition d’un docteur qui a lu et médité tous les textes. Un conteur qui cite Bellarmin, Luther et les conciles, un romancier qui est obligé de mettre des notes au bas des pages et de vous arrêter au milieu d’une scène émouvante par la production de quelque pièce latine extraite d’un in-folio, ce romancier-là, il faut l’avouer, prend trop au sérieux la tâche morale qu’il veut remplir. Rien de plus beau que ces convictions ardentes; il convient toutefois de les dissimuler plus adroitement, si l’on veut qu’elles communiquent une vertu féconde au récit. Un lecteur de contes peut s’approprier à bon droit le mot de Nicole : « Je n’aime pas à être régenté si fièrement. » Ce défaut, trop souvent renouvelé dans les quatre volumes de M. d’Uechtriz, n’efface pas cependant les rares mérites de cette composition. Les deux premiers volumes sont une peinture de l’Allemagne, les deux derniers un brillant tableau de l’Italie. Ici, la ville de Francfort, l’Autriche, la guerre avec les Tures; là, les splendeurs de Naples, l’expédition de Charles-Quint à Alger, le Vatican et le conseil des cardinaux sous la