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Titans modernes de l’écrivain anonyme, cette pensée qui est manifestement la préoccupation constante , l’invincible besoin des âmes : ensevelir le vieil homme et recommencer à vivre. Ni les uns ni les autres ne se sont concertés pour cela. M. Gutzkow et M. Auerbach ne pensent pas comme l’écrivain anonyme et Jérémie Gottlielf ; le but que les premiers assignent à cette sorte de renaissance n’est pas celui que signalent les deux autres; cependant un même instinct a parlé dans leurs écrits : libres penseurs ou moralistes chrétiens, ils sont ici les interprètes d’un sentiment général. Voudrait-on ne voir là qu’une rencontre fortuite? Ce serait fermer les yeux à une transformation évidente. Ce travail était nécessaire, et il s’accomplit autour de nous avec une spontanéité qui en révèle toute l’énergie. Il faut croire à ce mouvement des esprits signalé par tant de symptômes, on peut y mettre sa confiance et en attendre des résultats durables. La crise aura été féconde : les lettres n’en profiteront pas moins que la morale publique et la religion.


II.

Il y a deux manières de mettre fin à une mauvaise situation littéraire : c’est d’abord, nous venons de le voir par de curieux exemples, de l’arracher résolument aux influences de la veille, de faire comprendre à tous la nécessité d’un renouvellement général; c’est aussi de ne plus en parler, et d’ouvrir, sans autre préambule, la période de paix et d’activité régulière à laquelle on aspire.

L’Allemagne semble de plus en plus disposée, nous l’avons dit, à rompre avec la polémique pour revenir aux études sereines et se dévouer à la propagande du beau. Conteurs charmans ou sévères, peintres du passé ou de la société présente, on les a vus paraître en foule. Il y a eu comme un épanouissement simultané dans les domaines de la fantaisie. Je distingue surtout deux directions très différentes : le roman historique, et le roman qui se propose dans mille tableaux divers la peinture de notre XIXe siècle. Cette seconde catégorie, si l’on voulait être complet, offrirait encore maintes subdivisions intéressantes. Ici, c’est le roman de salon, le roman de high life, emprunté aux Anglais, et jusqu’à présent assez dépaysé en Allemagne; là, c’est le roman rustique, si accrédité chez nos voisins par les succès de M. Auerbach, de M. Léopold Kompert, de M. Jérémie Gotthelf, et qui révèle une tendance heureuse à la simplicité. Le roman national mériterait une place particulière, car il faut bien donner ce titre à ces narrations où l’auteur étudie surtout les mœurs d’une population oubliée et nous en retrace la dramatique image. Il y a enfin les romanciers voyageurs, et c’est là une nouveauté assez piquante : j’appelle ainsi les spirituels et brillans touristes qui, parcourant les terres lointaines, nous ont donné en de vifs tableaux le résultat de leurs observations. L’Allemagne en a eu plus d’un pendant ces dernières années, car cette littérature cosmopolite tend toujours à reculer ses frontières; maintenant surtout que l’émigration allemande, accrue sans cesse en des proportions terribles, va fonder au-delà de l’Océan des villes et des états, il est naturel que la littérature suive le même mouvement d’expansion.

Le roman historique, abandonné depuis quelque temps pour le roman socialiste ou le roman familier, vient de reparaître avec un certain éclat. Je