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LA CHASSE À LA BALEINE, SCÈNES DE MER.

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The Whale, by Herman Melville, 3 vols. London, Rich. Bentley.

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C’est une campagne à bord du Pequod que nous allons faire aujourd’hui, — à bord du Pequod, l’un des plus vieux baleiniers de l’île Nantucket, du Pequod, ainsi baptisé en mémoire de l’une des tribus peaux-rouges que la civilisation a détruites en s’établissant sur les côtes nord-américaines.

Voyez-le dans le port, ce vénérable navire, ce patriarche des mers, bruni sous les soleils et les tempêtes des quatre océans, comme un grenadier de la grande armée sous les cieux de Rome, Thèbes, Saint-Domingue et Moscou ! Depuis plus de cinquante ans qu’il fend les mers, mutilé, radoubé en vingt endroits, il a des mâts japonais, des espars du Chili, des haubans polynésiens, des mousses, des végétations de presque tous les points du globe, qui lui font une sorte de barbe limoneuse et verdâtre comme celle d’un fleuve mythologique. Son vieux pont se plisse en reliefs inégaux, sillonnés de fentes, qu’on prendrait pour des rides, et on y voit des planches usées comme ce degré de la cathédrale de Canterbury où tant de bouches chrétiennes cherchent depuis des siècles les traces du sang de Becket. Sur ce pont et ces bordages constellés d’incrustations étranges, en guise de chevilles et de tenons, luisent çà et là maintes dents de cachalot, maintes plaques d’ivoire, employées avec un magnifique laisseraller. On dirait un souverain yolof, un roi du Congo dans tout l’attirail de ses pompes sauvages.