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qu’on l’a dit avec finesse, si le roi George III a été consistant, il faut bien que Burke ne l’ait pas été. Ceux en effet qui admirent le plus complètement les dernières années de sa vie sont d’ordinaire obligés de chercher aux premières des excuses ou des explications, s’ils ne les condamnent point formellement. Peu trouvent que Burke ait eu raison tout à la fois contre George III, contre lord North, contre Hastings, contre Pitt, contre Fox et contre nous. Il faut donc reconnaître quelques disparates dans cette noble vie. Si son ardeur naturelle ne l’eût emporté, lui-même il aurait pu les rendre moins saillantes par une gradation mieux ménagée. Dans son opposition à la révolution française, il se serait mieux souvenu de son passé; il se serait plus sévèrement demandé s’il n’avait pas soutenu des doctrines, approuvé des actes, conseillé des mesures qui pouvaient préparer, justifier, atténuer au moins ce qu’il condamnait aujourd’hui. Moins absolu dans sa réprobation, il aurait été plus juste; moins violent dans ses haines, il aurait été plus clairvoyant. Il n’aurait pas tout confondu dans un vaste anathème où lui-même pouvait par avance se trouver compris. Il aurait pris des choses une plus juste mesure, et son opposition n’en aurait été que plus éclairée; mais alors il n’aurait pas été Burke : il aurait cessé d’avoir cette imagination passionnée, ce talent hyperbolique. Plus habile à modérer les mouvemens de son esprit, plus attentif à maintenir l’accord de toutes ses opinions, il aurait été moins fidèle à lui-même, il aurait démenti son caractère.

On a donc eu raison de chercher, dans ses discours antérieurs à 1789, sur les rois et les cours, sur les monarchies de l’Europe, sur l’aristocratie, sur les droits des peuples, sur la résistance, sur la révolte, des passages qui auraient dû le rendre plus modéré ou plus circonspect. Ayant ainsi pensé, il aurait dû tolérer qu’on pensât de même en d’autres circonstances, et, donnant à son jugement plus d’étendue et de profondeur, supprimer une bonne part de ce que lui dictaient la partialité ou la peur, sans rien abandonner de ce que lui suggéraient la prudence et la sagacité politiques. On pouvait se défier du succès de la révolution française, sans changer du tout au tout sur les hommes et sur les choses. Celui qui en 1770 ne voyait de recours contre les fautes d’un mauvais ministère que dans l’interposition du peuple en personne aurait pu comprendre que le peuple aussi se montrât dans une lutte contre le pouvoir absolu : quand on s’est permis certaines exagérations pour la défense de la liberté, il ne faut pas trop se scandaliser de celles qui échappent aux gens qui n’essaient la conquête. Burke a répondu d’une manière ingénieuse : « Le danger d’une chose bien chère écarte de l’âme pour le moment toute autre affection. Quand Priam a toutes ses pensées absorbées par la vue du corps de son Hector, il repousse avec indignation et