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deux façons de la juger, tant qu’elle se prolonge même en subissant des changemens sensibles, ce n’est guère à ceux qui ont soutenu l’un des systèmes de pratiquer l’autre. Lord North ne pouvait être le ministre qui reconnût l’indépendance de l’Amérique, quoique cette reconnaissance lui parût inévitable, et Pitt, qui avait pu négocier encore pour la paix en 1796, ne voulut pas, bien qu’il la jugeât nécessaire en 1801, qu’elle fût signée de son nom. Ce sont là de ces convenances qui importent tout au moins à la dignité du caractère.

Toutefois, quand il s’agit de deux événemens différens séparés par des années, accomplis dans des pays divers, bien que ces événemens soient comparables et qu’ils aient des points communs, la raison ni même la logique n’obligent de les apprécier absolument de la même manière. Ils peuvent différer par leurs causes, leur gravité, leur opportunité, leurs conséquences, leurs chances de succès, et, pour en venir tout de suite aux révolutions, il y en a de légitimes, il y en a qui ne le sont pas ; il y en a de nécessaires, il y en a qui ne le sont pas. Les unes sont faciles, les autres impraticables ; celles-ci réussissent sans crimes, celles-là poursuivent par une voie sanglante un succès contesté. Fussent-elles toutes inspirées par une noble pensée, eussent-elles toutes un noble but, le plus noble de tous, la liberté, aucun esprit ferme et sensé ne voudrait s’enchaîner indistinctement à toutes, et se consacrer sans choix à leur défense. La révolution française est venue à la suite de la révolution d’Amérique. Moins que personne, nous voudrions rompre le lien qui les unit, et pourrions méconnaître combien les principes promulgués par l’une ont contribué à susciter et à caractériser l’autre ; mais enfin motifs, circonstances, difficultés, événemens, durée, tout diffère assez entre l’une et l’autre pour que l’esprit ne soit pas tenu de porter sur toutes deux un jugement identique. N’y eût-il que ce point, la révolution américaine a réussi.

Parce que Burke a finalement approuvé la déclaration d’indépendance des États-Unis, on ne saurait donc lui reprocher d’avoir vu avec inquiétude la tentative à la fois plus grande et plus vague que la vieille France a faite à la fin du XVIIIe siècle. Il n’y a point là de véritable inconsistance. Cependant, comme par les principes généraux les deux causes se ressemblaient, comme la révolution de 1688 elle-même offrait avec les deux événemens quelques analogies d’idées et de résultats, comme les whigs de 1780 se portaient les continuateurs de l’œuvre constitutionnelle, comme ils étaient éminemment les défenseurs de la liberté, il était plus naturel qu’ils applaudissent au mouvement de 1789. On a pu trouver l’adhésion de Fox imprudente dans sa vivacité, mais elle n’a étonné personne, et jamais on ne l’a signalée comme une inconséquence dans sa vie politique. Ainsi