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politique, celui d’être épisodique. Certains discours de Cicéron ne mériteraient-ils pas quelque reproche de ce genre? C’est en effet à la manière de Cicéron qu’on peut comparer celle de Burke. Il a même pour nous un avantage, c’est une plus grande solidité. Jamais il n’est vide ou énervé. S’il est déclamateur, c’est en ce sens qu’il tend sans cesse à l’effet, c’est qu’il manque de simplicité, et qu’à force de grandir les choses il les exagère quelquefois. Son esprit, sans être rigoureusement philosophique, se plaît à généraliser et à prendre les faits et les questions par le côté qui prête le plus à la réflexion et au talent. Il faut donc un peu d’effort pour le suivre, et son élocution ne repose pas de sa manière de penser. Il abuse des mouvemens et des figures, et chez lui le goût ne tempère pas toujours l’imagination.

Ces remarques que suggèrent ses discours s’appliquent à ses écrits, mais elles cessent d’être au même degré des critiques. Nous serions assez de l’avis de Gerrard Hamilton, qui disait de lui : « Dans la chambre des communes, je le regarde quelquefois seulement comme le second homme de l’Angleterre; hors de la chambre, il est le premier. » Un demi-siècle d’épreuve n’a point cassé ce jugement. Ses écrits, qui, à l’exception des essais de sa jeunesse, sont des ouvrages de circonstance, intéressent et instruisent encore la postérité. Ils frappent par la pensée et charment par le talent. Il est vrai que, tandis qu’un air de composition littéraire se laisse apercevoir dans ses discours, ses écrits à leur tour tiennent de la harangue. Ils ont un peu la prolixité et tout à fait le mouvement de l’improvisation. Les images du style ne sont pas de celles que la réflexion combine, mais qui se trouvent du premier coup. Il ne négligeait rien, mais son travail devait être facile et ne refroidissait ni sa verve ni son émotion, car Burke, même judicieux et sage, n’est jamais calme. Il porte dans ses écrits les plus vrais, les plus lumineux, ce que les anciens appelaient la passion oratoire. C’est qu’il compose les yeux fixés sur la place publique : aussi sa manière a-t-elle gagné le grand nombre. Il a influé sur la littérature de son pays en y faisant pénétrer le style irlandais, ce style dont les caractères sont la fantaisie et le pathétique (fancy and pathos), et qui a modifié dans ces derniers temps l’élégance un peu froide de l’ancienne prose anglaise. Les critiques l’appellent le plus poétique des prosateurs, en observant que sa prose ne se change jamais en poésie. On ajoute qu’il sentait peu l’harmonie des vers; mais il est un des écrivains auxquels s’applique le mieux cette qualité que M. Villemain définit admirablement en l’appelant l’imagination dans le style. Son défaut est celui qu’il portait en tout, le défaut de mesure. Le grandiose lui plaît, il ira jusqu’au gigantesque; les contrastes le séduisent, il n’évitera pas les dissonances; il a raison