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sentimens de terreur et d’indignation sur les meilleurs cœurs et les meilleurs esprits, que nous ne parlerons qu’avec réserve de ces excès de pensée et de parole où fut entraîné un homme assurément digne des respects de son pays. L’expérience des troubles civils nous a enseigné l’indulgence, si elle ne nous l’a pas toujours obtenue. Toutefois les contemporains de Burke, habitués à un certain sang-froid, à une certaine mesure, même dans la passion, en jugèrent autrement. Ils ne purent concevoir tant de violence et de prévention, et on accueillit assez facilement un bruit répandu, soit pour l’excuser, soit pour le discréditer : on répéta que sa raison était altérée. Burke n’était que malheureux, faible et passionné. Il était en proie à cette fixité d’idées que subit une vive imagination dans une nature qui décline, à cette misanthropie amère qui suit la douleur et la vieillesse, et malgré cent erreurs et de violens préjugés il avait assez raison pour parler encore le langage imposant et irrité d’un prophète méconnu. C’est un magnifique fou, disait-on devant Fox (a splendid madman). «Insensé ou inspiré, répondit Fox; le destin semble avoir décidé qu’il serait un prophète politique comme il ne s’en rencontre guère. » Mais il était arrivé au terme fatal; ses forces tombèrent tout d’un coup; il comprit le sens de ce triste avertissement. Sans espérer de guérison, il chercha du soulagement. Il se fit porter aux eaux de Bath, et n’obtint aucune amélioration. Il ne songea plus qu’à retourner à Beaconsfield, où il voulait mourir. C’était le lieu qu’il chérissait, où s’étaient écoulées ses heures les plus douces, où son frère et son fils étaient ensevelis. Son mal était une maladie du cœur, dont les progrès ne laissaient pas d’espoir. Au milieu des langueurs et des angoisses de son état, il se ranimait dès qu’il entendait un mot sur les affaires publiques, et retrouvait un peu d’ardeur et d’éloquence : cette passion mourait la dernière; sur tout le reste, il était calme. Peu de temps avant de finir, il s’occupa de quelques amis, leur envoya des marques de souvenir, disant qu’il pardonnait, demandant à être pardonné; puis il entendit la lecture de quelques pages d’Addison touchant des sujets religieux, et, pendant qu’on le portait sur son lit, il expira (9 juillet 1797). Il était âgé de soixante-huit ans.

On vient de lire qu’il pardonna. Cependant, avant le jour suprême, Fox, ayant appris de lord Fitzwilliam la gravité de son état, écrivit à Mme Burke. Celle-ci répondit par un billet que la rupture avait sans doute coûté au cœur de son mari, mais que, quel que fût le temps qu’il lui restât à vivre, il pensait qu’il devait vivre pour les autres et non pour lui-même, que les principes qu’il s’était efforcé de maintenir étaient essentiels au bonheur et à la dignité de son pays, et ne pouvaient recevoir de force que par la persuasion générale où l’on serait de sa sincérité. Ainsi il refusait une dernière entrevue,