Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Londres pour jamais, qui vivait dans la retraite et la tristesse, était autorisé peut-être à la vengeance : la sienne fut terrible. Pour la verve, l’ironie, la vigueur, le trait, sa lettre est des plus remarquables. Il parle dignement de ses travaux et de sa vie. Il rétorque contre le grand seigneur la gigantesque fortune que la faveur de cour a faite à ses ancêtres, et il le met aux prises lui, son rang, ses titres, ses palais et ses domaines, avec la faction niveleuse dont il l’accuse d’être le courtisan. On conçoit en lisant cette lettre que Prior ait pu l’appeler le chef-d’œuvre de la prose anglaise. Ce qui étonne surtout, c’est l’excessive vivacité d’imagination et d’esprit qu’elle manifeste chez le triste et souffrant solitaire de Beaconsfield. M. Macaulay remarque avec raison qu’il est singulier que l’Essai sur le beau et le sublime et la Lettre à un noble lord soient les ouvrages du même auteur, et plus étrange encore que l’Essai soit une production de sa jeunesse, et la Lettre l’œuvre de ses vieux jours. « Le même homme, dit-il, qui, en vieillissant, discutait des traités et des tarifs dans un style de roman, avait écrit sur la beauté dans la langue d’un rapport au parlement. »

Un mérite égal, mais différent, brille dans quelques pages sur la disette qu’il adressa vers cette époque au premier ministre. On a observé que, dans les matières économiques, la rectitude de son esprit ne se démentit jamais. Les systèmes de réglementation n’étaient point de son goût, et la question des subsistances est une de celles où ils exerçaient la plus fâcheuse influence. Cependant l’insuffisance des produits nécessaires à la vie est, de tous les accidens économiques, celui qui engendre le plus de maux réels et imaginaires, et porte le plus puissamment les masses souffrantes à réclamer l’intervention du gouvernement. C’est ce qui arrivait en ce moment au ministère, et c’est pour le fortifier contre toute tentation d’accorder aux alarmes publiques des mesures inefficaces ou dangereuses que Burke prend la plume. Il traite la question avec la triple compétence d’un agriculteur, d’un législateur et d’un politique. Cette courte dissertation est encore excellente aujourd’hui. Il la termine par une observation d’une grande portée. «Un des plus beaux problèmes de législation, dit-il, qui l’aient occupé du temps que c’était son métier, est celui-ci : Qu’est-ce que l’état doit prendre sur lui de diriger par la sagesse publique, ou, réduisant son intervention aux moindres termes, abandonner à la discrétion des individus? Autant qu’une ligne de démarcation peut être tracée, et toute règle à cet égard admet, au moins par circonstance, nombre d’exceptions, le gouvernement ne doit se réserver que les affaires de l’état et des corps qui tiennent de lui l’existence : ainsi l’établissement extérieur de la religion, la magistrature, l’armée, les finances, tout ce qui est vraiment public.