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commandement des armées, n’appartenaient qu’aux hommes dont la vénération publique avait inscrit les titres de noblesse au livre d’or de la tradition. Depuis la fin du XVe siècle, le Coran était devenu à Java la loi écrite, sans altérer en rien les rapports des diverses classes entre elles. La loi orale, l’adat, profondément empreinte du caractère immuable des coutumes hindoues, assignait encore à chacun des habitans la limite de ses droits et de ses devoirs. L’adat réglait, avec autant de minutie que le Tcheou-li des Chinois, les privilèges et les attributs de la souveraineté ; il était à la fois un code judiciaire et un code d’étiquette. C’est grâce à lui que la constitution primitive de la société javanaise a survécu aux troubles intérieurs et aux invasions étrangères. Depuis le jour où elle a reçu de l’Inde les premiers élémens de la civilisation, l’île de Java n’a connu pour ainsi dire que des révolutions de palais. La hiérarchie sociale n’en a reçu nulle atteinte, et c’est encore elle qui préside aujourd’hui à l’organisation de la propriété.

D’après l’adat, la terre appartenait au souverain. Les communes ou dessas n’en avaient que l’usufruit. En vertu de son droit de propriétaire, le prince prélevait le cinquième épi de la moisson ; en sa qualité de chef politique, il pouvait exiger que chacun de ses sujets employât un jour sur quatre à son service; mais le droit de propriété du souverain était fictif; celui des dessas, établi par les travaux d’irrigation et de défrichement exécutés en commun, était très-réel et très-sérieusement respecté. La propriété existait donc à Java; seulement, au lieu d’être individuelle, elle était collective. Le terrain arrosé, la sawa, était un terrain communal. La commune était divisée en groupes ou tjatjas de vingt-deux personnes, la sawa en parcelles. Il fallait être reconnu membre d’une commune, être un orang-dessa, pour pouvoir être compris dans la distribution des terres que le chef du village, le kappoula-campong, répartissait chaque année entre les tjafjas. Le cultivateur que son inconduite ou l’insuffisance du terrain communal obligeait à quitter la dessa se trouvait, par le fait seul de cet exil, déclassé. Il cessait d’être un orang-dessa pour devenir un orang-menoumpang, véritable paria déshérité de sa part du territoire et condamné à errer de commune en commune pour offrir ses services aux usufruitiers privilégiés du sol. Au-dessous de la classe nobiliaire, on rencontrait donc à Java deux classes distinctes de cultivateurs : les uns, fermiers héréditaires, se trouvaient assujettis, en échange de leur privilège, au paiement de l’impôt; les autres, simples journaliers, n’avaient d’obligations à remplir qu’envers le maître qui les admettait à cultiver son champ et qui se chargeait de leur fournir les instrumens de travail. Le droit de commercer avec les étrangers était encore dans l’archipel indien un des attributs de la souveraineté. Le