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réélection. Sa tâche était finie. Depuis longtemps, il ne tenait plus au parlement que par le procès de Hastings : c’était l’œuvre de réparation, d’expiation, par laquelle il imaginait épargner à l’Angleterre le fléau de la révolution. Il avait écrit quelque temps auparavant à Murphy, qui lui dédiait sa traduction de Tacite : « J’ai lutté de toute ma puissance contre deux maux publics, provenant des plus saintes de toutes les choses, la liberté et l’autorité. Dans les écrits que vous êtes assez indulgent pour supporter, j’ai lutté contre la tyrannie de la liberté. Dans ma longue et dernière lutte, j’ai combattu contre la licence du pouvoir. » C’est cette longue et dernière lutte qui lui laissa le meilleur souvenir. Quelque temps avant sa mort, il chargea ses amis, l’évêque de Rochester et le docteur Laurence, de publier après lui l’ensemble de ses travaux dans l’affaire de Hastings.


« Comme il est possible, écrivait-il à Laurence dans la dernière année de sa vie, que mon séjour de ce côté-ci du tombeau soit plus court que je ne calcule, permettez-moi de rappeler à votre souvenir la charge solennelle et le dépôt que je vous ai confié en quittant la scène politique... Ne laissez pas cet exemple cruel, audacieux, inouï de corruption publique, de crime, de bassesse, descendre à la postérité, peut-être aussi insouciante que la race présente, sans la marque d’animadversion qui lui est due... Que mes efforts pour sauver la nation de cette honte et de ce crime soient mon monument à moi, le seul que je veuille avoir jamais. Que tout ce que j’ai fait, dit ou écrit soit oublié, excepté cela. J’ai lutté pour cela, avec les grands et avec les petits, durant la plus grande partie de ma vie active, et je souhaite, après ma mort, laisser ce défi porté aux jugemens de ceux qui considèrent le glorieux empire qu’une dispensation inconcevable de la divine Providence a mis dans nos mains — uniquement comme un moyen de satisfaire, pour le plus vil des buts, les plus viles de leurs passions... Je me reproche extrêmement de n’avoir pas employé l’année dernière à cet ouvrage, et je demande pardon à Dieu de ma négligence. J’avais encore assez de forces pour le faire, si je n’en avais perdu en de compromettantes querelles avec l’indolence qui s’endort et oublie, et si je n’avais employé quelques-uns des momens où je me sentais renaître à l’activité de l’âme en faibles efforts pour relever ce peuple imbécile et léger des châtimens que sa négligence et sa stupidité ont attirés sur lui pour ses iniquités et ses oppressions systématiques. Mais vous êtes fait pour continuer tout ce que j’ai fait de bien et pour l’augmenter encore, grâce aux ressources variées d’une âme fertile en vertus et cultivée par mille sortes de connaissances et de talens en toutes choses. Faites sentir la cruauté de cet acquittement prétendu, mais en réalité de cette barbare et inhumaine condamnation de tribus et de peuples, et de toutes les classes qui composent ces peuples. Si jamais l’Europe recouvre sa civilisation, cet ouvrage sera utile. Souvenez-vous ! souvenez-vous ! souvenez-vous ! »


Au même moment, le duc de Portland entra dans le cabinet comme secrétaire d’état de l’intérieur; lord Fitzwilliam suivit son exemple,