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opinions dans ses Points capitaux à considérer dans l’état-présent des affaires (novembre 1792); c’est un résumé de la situation. L’auteur ne se nomme pas et ne se livre point à sa manière d’écrire accoutumée. Il rédige un vrai mémoire diplomatique, où les victoires de la France, sa force, ses desseins, les dangers et les intérêts des états divers, les fautes ou les faiblesses des cabinets, sont représentés de manière à faire ressortir la nécessité pour l’Europe de former une coalition offensive, et pour l’Angleterre d’en être la tête et l’âme. L’ouvrage était de nature à faire réfléchir les gouvernemens; il coïncidait avec la bataille de Jemmapes.

Ce furent en effet les victoires de la France, plus que les dangers de son exemple et de ses doctrines, qui changèrent enfin la politique du cabinet anglais. La conquête de la Belgique touchait beaucoup plus le fils de Chatham que les massacres de septembre ou la hache suspendue sur la tête du noble prisonnier du Temple. Il n’eût jamais fait la guerre pour un sentiment ou pour une idée, et il avait raison ; c’est à la politique seule qu’il appartient d’armer un gouvernement sensé. Le défi sanglant qu’au 21 janvier la convention jeta à l’Europe monarchique parut une occasion décisive, et l’Angleterre accéda à la coalition, entraînant la Hollande avec elle. Tout était disposé pour une guerre maritime, et c’est sur les colonies que Pitt portait; son ambitieuse pensée. Mirabeau l’avait appelé le ministre des préparatifs, et ces préparatifs, qui paraissaient à Burke les lenteurs de l’indécision, trahissaient surtout un désaccord entre les vues du ministre et les siennes, désaccord qui persista même après que les idées guerrières semblaient avoir triomphé. Il ne concevait pas que l’on conquît des Antilles pour dompter Paris. Il ne se croyait pas l’ennemi de notre pays. Il distinguait entre la révolution et la France, et c’est la première seule qu’il prétendait anéantir. Il voulait une guerre de parti, tandis que Pitt faisait une guerre politique. L’un demandait que l’on déployât la plus grande énergie, que l’on prît la plus violente offensive, mais que l’on s’attaquât à la faction, non à la nation, tandis que l’autre songeait surtout à se défendre contre l’esprit de conquête et à se venger du traité de Versailles. Dans ses conversations, Pitt exprimait l’espérance que la guerre serait de courte durée, et, en cas qu’elle se prolongeât, il admettait comme résultat possible le démembrement de la France. Burke, qui s’indignait à cette pensée, continuait de critiquer le ministère, quoiqu’il s’en fût rapproché. Vivant beaucoup avec les émigrés, lié avec Cazalès, correspondant avec l’abbé Edgeworth, il avait en partie adopté leurs sentimens, et cherchait sans relâche à les faire adopter par l’Angleterre. « J’ai la ferme conviction, écrivait-il à Windham, que les émigrés ont plus de lumières (have better parts) que le peuple chez