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assemblée où se dit tout ce qui se pense en Europe, s’ouvrit solennellement la grande controverse qui dure encore, et que ne paraissent prêts à terminer ni les événemens, ni la science, ni l’histoire.

Il est probable que l’exemple d’un homme tel que Burke inspira grande confiance et hardiesse nouvelle aux opinions que venait flatter et soutenir un allié si peu attendu. Ces opinions en Angleterre étaient de deux sortes. Les unes étaient celles qu’on doit appeler par excellence contre-révolutionnaires. Ce qui pouvait rester de jacobitisme, le torisme pur, l’esprit de cour, la routine gouvernementale, cet honnête et timide instinct de conservation naturel à certains esprits modestes ou à certaines classes de la société, tout dut se réunir pour composer, pour animer un parti qui, aussi scandalisé qu’effrayé des maximes et des procédés de la France, regardait comme une œuvre de salut dans ce monde et dans l’autre de les réduire au néant, et bientôt Burke, dans sa véhémence, devait aller jusqu’aux extrémités de ce parti; mais d’autres opinions, moins absolues, plus modérées, moins logiques si l’on veut, plus éclairées pourtant, se rapprochèrent peu à peu de celles-là. Le libéralisme anglais, pourvu qu’il fût bien anglais, pouvait sans contradiction être hostile au libéralisme français. Soit habitude d’esprit, soit prudence politique, soit orgueil national, soit tous ces motifs à la fois, on pouvait priser très haut la liberté historique de l’Angleterre et peu estimer la liberté philosophique de la France. La bonté du but, l’honnêteté ou l’utilité des moyens, la possibilité du succès, l’avantage même ou l’inconvénient pour l’Angleterre d’être imitée ou égalée, formaient autant de questions que l’esprit britannique pouvait naturellement résoudre contre nous. L’indépendance mesurée du protestantisme ne devait pas goûter la licence religieuse du dernier siècle. Les vaincus de la guerre d’Amérique pouvaient regarder d’un œil ennemi la transplantation et le triomphe apparent des principes américains. Ce qui s’était passé cent et un ans auparavant différait profondément de ce qui se passait en 89. Il n’est nullement sûr que Somers ou Burnet eussent pensé comme Lafayette ou Mirabeau. Sans aucun doute, Walpole ou Pelham s’en seraient bien gardés. On peut hésiter à dire de quel côté de la question aurait penché lord Chatham; mais son aversion pour la France ne r aurait-elle pas emporté sur son goût pour l’extraordinaire et le gigantesque? En tout cas, on pouvait avoir été whig, même rester whig, et passer du côté de ceux qui se défiaient de notre révolution. Il put donc se former un whiggisme conservateur, un whiggisme de résistance, qui devint peu à peu un torisme constitutionnel qu’il ne faut pas confondre avec le torisme absolutiste. C’est au premier que le pouvoir est à peu près constamment resté jusqu’à la révolution française de 1830.