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en effet de la même direction au nord et au sud de l’équateur. La mousson d’est règne dans la mer de Java et y ramène le beau temps et la sécheresse, quand la mousson de sud-ouest fait éclater ses orages dans la mer de Chine. L’époque où nous devions quitter Macao et le projet que nous avions formé de visiter les principaux ports de l’île Célèbes, Menado et Macassar, nous traçaient notre itinéraire. C’était à l’est de Célèbes et par la mer des Moluques que nous devions passer.


I.

Le 10 mai 1949, sept jours après son départ de Macao, la Bayonnaise se trouvait à l’entrée de la baie de Manille. Sans nous arrêter cette fois sur les côtes de Luçon, nous laissâmes derrière nous la pointe de Maribelès, et, comme au mois de mai 1848, nous nous engageâmes dans le long et sinueux détroit de San-Bernardino; mais, au lieu de suivre ce détroit jusqu’au point où il débouche dans l’Océan Pacifique, nous descendîmes brusquement vers le sud, dès que nous eûmes franchi le premier goulet, celui que forment en se rapprochant la côte de Mindoro et la pointe méridionale de l’Ile Verte. Longeant alors, à l’aide de brises variables, les îles de Panay, de Negros et de Mindanao, nous atteignîmes, après dix-huit jours de traversée, le mouillage de Samboangan.

Cet établissement européen a longtemps marqué la limite des pos- sessions de l’Espagne dans les mers de Chine. Il fut fondé en 1635 par le gouverneur de Manille pour contenir la piraterie, dont l’archipel de Soulou fut pendant plusieurs siècles le foyer le plus redoutable. En regard de la forteresse espagnole se dressent les hauts sommets de l’île de Basilan. On sait les prétentions devant lesquelles nous nous arrêtâmes après avoir obtenu du sultan de Soulou, vers la fin de l’année 1845, la cession formelle de cette île. La France voulut respecter jusque dans leur exagération les droits d’une puissance alliée; elle donna en cette circonstance à l’Angleterre, qui préparait déjà l’occupation de Laboan, un exemple de modération que l’Angleterre se garda bien de suivre. — Le détroit formé par l’île de Basilan et la côte de Mindanao est un des passages les plus fréquentés par les navires qui se rendent en Chine à contre-mousson. La partie du canal qui longe le rivage de Samboangan est rétrécie par les îles basses de Santa-Cruz, et sillonnée par des courans rapides qui, soumis à l’influence périodique des marées, favorisent plutôt qu’ils n’entravent la navigation[1].

  1. La vitesse de la marée sur la rade de Samboangan est souvent de trois ou quatre milles à l’heure. Le jour même où nous mouillâmes devant le fort espagnol, une heure environ après le coucher du soleil, un jeune mousse tomba de dessus les bastingages à la mer. Les embarcations étaient hissées sur leurs porte-manteaux; l’obscurité était profonde. Il y avait mille chances contre une pour que le malheureux enfant disparût avant qu’on pût lui porter secours. Un de nos chirurgiens, M. Henri Lerond, noble et bon jeune homme qui n’en était point à son premier acte de dévouement, se trouvait par bonheur sur la dunette. Il se jette à l’eau et atteint le mousse que déjà le courant entraînait rapidement au large. Sans un canot qu’un hasard providentiel amena en ce moment le long da bord, M. Lerond eut été victime de sa sublime imprudence. Quand il remonta sur le pont de la corvette avec le mousse qu’il avait sauvé, les matelots, bons juges en fait de noblesse et de courage, lui firent une véritable ovation. Ce fut sa première récompense. Si ma voix peut être un jour entendue, ce ne sera pas la seule.