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PROMENADE EN AMÉRIQUE.

Le sujet du poème de M. Longfellow est emprunté à un vieux fabliau français. L’empereur ne sera guéri que si une jeune fille donne sa vie pour lui ; la jeune fille se trouve, et, au lieu de mourir, devient impératrice. Cette histoire bizarre et touchante est devenue entre les mains de M. Longfellow comme un cadre gracieux dans lequel il a enchâssé une vue du moyen âge. La scène dans laquelle la jeune Elsie apprend à ses parens qu’elle a résolu de mourir pour le prince et finit par obtenir leur consentement et leur bénédiction, cette scène est très belle. M. Longfellow, qui sent vivement la poésie du moyen âge, a aussi un sourire pour les formes naïves de sa dévotion et de sa croyance. Il connaît les singulières imaginations des prédicateurs de ce temps. L’un d’eux monte en chaire, tenant à la main un fouet qu’il fait claquer sous les voûtes de l’église, puis, feignant de s’adresser au courrier dont le fouet vient de retentir, il lui demande ce qu’il y a de nouveau. « Christ est ressuscité. — D’où venez-vous ? — De la cour. — Oh ! alors je n’en crois rien ; c’est une plaisanterie. » Le fouet retentit de nouveau : c’est un autre courrier qui arrive. « Courrier, quelles nouvelles ? — Christ est ressuscité. — D’où venez-vous ? — De la ville. — Alors je ne vous crois pas. Poursuivez votre chemin. » Le fouet retentit une troisième fois pour annoncer l’arrivée d’un troisième courrier. Il donne la même nouvelle : « Christ est ressuscité. — D’où venez-vous ? — De Rome. — Ah ! je vous crois maintenant, il est ressuscité. Allez donc, et galopez de toute la vitesse de votre coursier. » Rien n’est plus charmant que la conversation du prince et d’Elsie chevauchant ensemble à travers les forêts de l’Allemagne. La vie silencieuse et recueillie des religieux fidèles à leur vocation et les désordres qui souillaient parfois les cloîtres mal réglés sont opposés dans ce poème comme dans l’histoire. Quoi de plus naïf, de plus pur, de plus senti que ce monologue du frère écrivain dans le Scriptorium : « Que Dieu me pardonne ! il me semble qu’une certaine satisfaction se glisse dans mon cœur et dans mon cerveau… Oui, je pourrais presque dire au Seigneur : Voici une copie de ta parole, écrite par moi d’un bout à l’autre avec beaucoup de labeur et de fatigue ; prends-la, ô Seigneur ! et que ce soit quelque chose que j’aie fait pour toi… (il regarde par la fenêtre.) Que l’air est doux ! que cette vue est belle ! Je voudrais avoir un vert aussi charmant pour peindre mes paysages et mes feuilles. Comme les hirondelles gazouillent sous les gouttières du toit ! Il y en a une en ce moment qui est sur son nid, justement je puis saisir une vue de sa tête et de sa poitrine. Je ferai une esquisse du joli oiseau dans son tranquille abri, et je la réserverai pour la marge de mon évangéliaire. » Ce morceau me semble d’une naïveté charmante. Il est impossible de se transporter plus complètement loin de la vie ardente et occupée de la société américaine, dans