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seule réélection ministérielle reste en suspens et semble éprouver quelque difficulté, c’est celle du chancelier de l’échiquier, M. Gladstone, à Oxford, l’une des citadelles du torisme. M. Gladstone a trouvé un redoutable concurrent dans M. Dudley-Perceval. La bataille dure encore, le poll ne doit point être fermé de quelques jours ; mais il est évident que ce n’est point là une difficulté pour l’administration nouvelle. Les difficultés véritables ne pourront naître que quand le parlement reprendra ses travaux, le 10 février, et que le ministère devra arriver à des actes politiques, aux mesures qu’il a lui-même annoncées, à l’abrogation des lois religieuses qui ferment la vie politique aux israélites, à la réforme parlementaire. Quant à la liberté commerciale, elle se trouve plus que jamais hors de cause très certainement, et n’est plus même une question. La protection ne peut plus être un drapeau après les concessions récemment faites par lord Derby et M. Disraéli, pendant qu’ils étaient au pouvoir. C’est donc sur un autre terrain que la lutte s’engagera, probablement à l’occasion de quelques-uns des projets que lord Aberdeen a fait entrer dans l’exposé des principes de l’administration nouvelle avant les vacances parlementaires. Si quelque chose peut prouver cette transformation profonde des partis en Angleterre dont nous parlions l’autre jour, c’est ce que disait lord Aberdeen dans le discours par lequel il a inauguré son avènement au pouvoir : « Il n’y a de possible aujourd’hui qu’un gouvernement conservateur, et j’ajoute qu’il n’y a aussi de possible qu’un gouvernement libéral. » Ainsi voilà donc le caractère du nouveau cabinet anglais : c’est une conciliation entre les idées de conservation et les idées de progrès ; c’est un essai de transaction à la place de l’ancien antagonisme des whigs, des tories et des radicaux entre eux. Nous verrons ce qui en résultera. La difficulté n’est point évidemment de rédiger ce programme, c’est de l’appliquer et de trouver effectivement le secret d’une politique nouvelle qui en même temps rassure les intérêts traditionnels et les intérêts nouveaux de l’Angleterre. Dans tous les cas, jamais une pareille œuvre n’aura été tentée par une administration plus brillante, composée d’hommes plus éminens. C’est un cabinet dont plusieurs des membres au moins pourraient aspirer à être premiers ministres. Là est sa force et là est aussi sa faiblesse, aujourd’hui comme hier et tant qu’il vivra, à moins de circonstances impérieuses qui tiennent disciplinés et compactes tant d’élémens brillans et incohérens.

Tandis que l’Angleterre vient de traverser une crise politique qui ne suspend en rien d’ailleurs la marche de ses puissans intérêts et laisse à l’existence nationale tout son ressort et sa grandeur, quelle est aujourd’hui la situation des autres pays constitutionnels de l’Europe, — de la Belgique, du Piémont, de l’Espagne ? Quels faits récens et propres à chacun de ces peuples viennent se mêler à l’histoire générale contemporaine ? En Belgique, nul incident sérieux, nulle crise publique, nulle discussion orageuse même. Le dernier débat important a été celui de la loi sur la presse, qui a été votée et promulguée. C’est tout au plus si, à l’occasion du budget, il y a eu quelque escarmouche rétrospective contre l’ancien cabinet. Dans l’état d’impuissance et d’indécision des partis, le ministère actuel reste, pour le moment, le paisible possesseur du gouvernement de la Belgique. Il est arrivé au pouvoir, comme on sait, avec la mission spéciale de renouer des rapports plus amicaux avec