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L’ASTRONOMIE EN 1852 ET 1853.

une infinité tout à fait incalculable dans notre voie lactée, et si, par l’imagination comme par le télescope, nous espaçons les unes derrière les autres les voies lactées dans l’univers comme le sont les soleils individuels dans chacune des voies lactées individuelles, nous arrivons à des limites tellement distantes de nous, que l’imagination la plus ambitieuse sent plutôt le besoin de se replier vers notre coin du monde que de poursuivre encore plus loin ces amas de soleils entassés les uns sur les autres à perte de vue télescopique.

Ceci bien compris, voici les résultats des dernières années et même des derniers mois dans l’observation astronomique de ces amas distincts d’étoiles que l’on désigne ordinairement sous le nom de nébuleuses, parce qu’ils ressemblent, comme les petites portions de la voie lactée ordinaire, à de petits nuages faiblement lumineux. Les télescopes et les lunettes de nos jours ont montré que toutes ces agglomérations nébuleuses n’étaient réellement que des amas d’étoiles qui se séparaient et se montraient distinctes sous la puissante inspection d’un instrument plus grand et plus parfait. Les limites du monde se sont ainsi trouvées reculées prodigieusement, car, suivant l’opinion qui voyait dans ces nébuleuses, non pas des entassemens de soleils, mais bien une véritable matière continue disséminée dans l’espace, rien n’obligeait à reculer ces limites, comme l’exige l’idée de soleils distincts et d’amas de soleils distincts espacés les uns à côté des autres à partir du point d’où nous les observons. Ainsi, d’après les observations modernes, de l’homme à la terre un infini, de la terre au soleil un second infini, du soleil à l’amas de soleils qui constitue la voie lactée un troisième infini, enfin un quatrième infini de la voie lactée à l’ensemble de toutes les voies lactées qui peuplent le ciel. Voilà quatre infinis successifs de grandeurs que nous franchissons à l’aide de nos instrumens d’optique, et personne ne pensera sans doute que nous ayons atteint les bornes du monde matériel.

Passons de ces ensembles illimités à l’observation individuelle des étoiles : un autre étonnement nous attend dans cette localité, aussi restreinte que le champ des nébuleuses était vaste. Dans plusieurs cas, à côté d’une étoile brillante on distingue une seconde étoile moins brillante, et qui semble presque la toucher, avec des instrumens de faible pouvoir. En observant ces étoiles doubles pendant plusieurs dizaines d’années, William Herschel le père constata que les deux étoiles tournaient l’une à l’entour de l’autre. Observées en plein ciel, tantôt la petite était au-dessus de la brillante, plus tard elle se voyait à côté, plus tard encore elle se voyait au-dessous. Il y a telle étoile double qui accomplit cette évolution en un tiers de siècle, telle autre en un demi-siècle ; d’autres exigent pour leur période plusieurs centaines d’années. Quel embarras peuvent maintenant trouver les chronologistes à fixer des ères éternellement stables, puisque telle année où telles étoiles doubles auront telle position relative entre elles ne pourra être confondue avec aucune autre année, dût-on prolonger le temps à dix mille, à cent mille années ? Il suffit déjà, pour établir ces grandes périodes, de prendre les étoiles doubles à mouvement bien connu que contient le grand ouvrage dont M. Struve, le directeur de l’observatoire impérial de Poulkova, vient d’enrichir la science des étoiles, qui semble son domaine exclusif et privilégié par le mérite et par la renommée.