Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — A la bonne heure, dit le général, j’entrevois Démosthènes : il y a bien encore çà et là quelques paroles qui languissent et que je mets à votre compte; mais en principe vous devez avoir été écho fidèle, car vous m’avez ému. Quel cœur de citoyen on sent là! quelle gravité, quel calme dans la véhémence! quelle puissance de mépris !

« Ah! je conçois la grandeur qu’aura cette défense d’un homme où est enfermée l’apologie d’un peuple et la justification des derniers et stériles combats qu’il a livrés pour la liberté de la Grèce. Au fond, c’est Athènes qui va juger si, dans sa défaite, elle mérite encore une couronne. Pour Athènes, Chéronée était mieux qu’un Waterloo, car elle y combattait aussi l’étranger, mais pour elle-même et non pour un maître intérieur. Et cependant nous aussi, nous avons mérité la couronne civique au pied du mont Saint-Jean, sous ces pics hérissés de feu, sous ces batteries plongeantes, car ce n’est pas le succès, mais le dévouement qui fait la gloire; et ce que nous défendions là, c’était le sol et le-drapeau, la substance et le signe extérieur de la patrie. Que n’avions-nous alors à défendre aussi des lois, des institutions, des mœurs publiques, une liberté ancienne et inviolable! Cette garde-là ne serait pas tombée à Waterloo; elle se fût relevée dans chaque village français. De la Loire au Rhin, elle eût couvert et revendiqué le sol de la France. Mais j’ai tort, dit le général; pas de regards en arrière, à de si courtes distances; pas de ces revues d’un passé récent qui importune comme un remords inutile, qu’on touche presque et qu’on ne peut changer. Soyons encore dans l’antiquité.

«A travers ce bon abbé Auger que j’ai voulu lire cent fois, comme on cherche impatiemment à déchiffrer, sous une mauvaise écriture, une nouvelle qui intéresse, j’ai présent le squelette de Démosthènes, sa nerveuse méthode, son bras tendu pour écarter les vains obstacles; je le crois bien, il n’accepte pas pour commencement de son discours les questions de forme et de droit; il court à ce qu’il a de commun avec le peuple, son juge : la question de courage et de liberté, l’entreprise, même malheureuse, pour l’indépendance de la Grèce. On dirait qu’il ne daigne pas même s’occuper de son honneur privé jusqu’à ce qu’il ait relevé l’honneur public d’Athènes, le drapeau de la guerre sainte contre Philippe; mais revoyons, je vous prie, un peu au vrai, s’il est possible, avec quelles couleurs il a retracé cette division des Grecs, présage de leur servitude, ces accroissemens de Philippe, despote et conquérant, et cette corruption qui est de tous les temps, et qui achemine si facilement les peuples au pouvoir absolu. Il y a, sous ce rapport, dans Démosthènes mille traits historiques toujours contemporains, toujours applicables. Il n’y a