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connaissance intime des faits, et étendue, enhardie par la méditation philosophique et l’histoire. C’est là le grand ascendant, la prédominance morale de Royer-Collard dans cette chambre, où nous avons tant d’hommes d’affaires habiles et de parleurs diserts. Mais quelles études cet homme a faites toute sa vie ! quel travail de lecture et de réflexion ! J’en suis honteux pour nous, réquisitionnaires de 1792, toujours en campagne depuis, et qui, jusqu’à Waterloo, n’avions pas eu même un seul quartier d’hiver tranquille, pour étudier un peu. »

Le général Foy se calomniait ou se vantait en exagérant ainsi son défaut de savoir. Malgré sa vie errante et guerrière dès l’âge de dix-huit ans, peu d’hommes étaient plus instruits, avaient plus ajouté aux premières études une assidue variété de lectures et d’observations, et mieux saisi les principales parties des grandes connaissances. Nul esprit de notre temps peut-être n’était plus promptement sagace et plus attentif. La science militaire, liée à l’étude de l’histoire, avait été sa passion de jeunesse. Les récits d’Arrien, de Polybe et de César lui étaient présens, comme les campagnes de Turenne et de Napoléon. La plus belle littérature avait charmé sa vive imagination, comme elle colorait son langage.

Depuis son entrée dans la vie sédentaire, ou, comme il disait, dans la rude milice de tribune, nul n’avait appliqué à l’examen approfondi des questions et à l’art de les exposer un travail plus ardent et plus opiniâtre. Je le savais par lui-même, car ce noble esprit était au-dessus de toute dissimulation vaniteuse : malgré les heureux accidens de sa parole soudaine, ses discours le plus librement, le plus hardiment jetés, étaient le fruit d’une laborieuse préparation. Il disait parfois avec modestie qu’il était obligé de suppléer ainsi à ce qui lui manquait d’art et de science générale ; mais en réalité, il ne faisait là que ce que veut la perfection même de l’art en si haute matière. Seulement, par la vivacité de sa nature, son travail solitaire, sa préparation était dévorante, comme la lutte même. Fortement étudié dans tous les documens matériels, médité longtemps, dicté avec ardeur, déclamé à quelques oreilles amies, et souvent à sa noble et spirituelle femme, chacun de ses discours était ainsi un rude et passionné labeur qui se reprenait et s’achevait enfin à la tribune, où le général ne récitait pas de mémoire, mais retrouvait d’instinct et d’enthousiasme tout l’ordre de ses pensées, ses mouvemens, ses images, suppléant de verve à ce qui pouvait manquer encore ou paraître trop faible dans le feu de l’action même.

Je savais tout cela très bien, et j’avais lu quelques pages de ses remarquables récits de la guerre d’Espagne ; je pouvais donc contredire le général, et je le fis en peu de mots. « Oui, me dit-il alors, je me donne beaucoup de peine ; je respecte la tribune, je respecte cette