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bienveillante inquiétude qui lui était innée, était venu voir le professeur, qu’il craignait d’avoir compromis. Celui-ci parut assez confiant, cita les décrets de 1808 et de 1810, l’article 26 de l’ordonnance royale de février 1815, qui déclare les professeurs de facultés nommés à vie, et du reste il affirma qu’il n’avait entendu parler de rien, hormis une dénonciation très violente dans quelques journaux ultra-monarchiques. Le général Foy, calmé sur son scrupule d’affectueuse bonté, se livra tout entier au plaisir que lui avait fait cet élan cordial d’une jeunesse studieuse.

« Quel noble pays, disait-il, que cette terre qui donnait, il y a quinze ans, de si vaillans conscrits pour les champs de bataille d’Espagne ou de Russie, de si intelligens officiers après un an de Fontainebleau, et qui aujourd’hui, sans que nous ayons de moins braves gens dans nos armées de paix et de police monarchique au dehors, peuple nos écoles d’une si brillante jeunesse! Avec quelle émotion je les voyais se lever, se pencher de toutes parts vers moi ! Quels auditeurs! combien de bon sens et d’esprit dans leurs approbations et parfois dans leurs silences! Il y aura là des gens qui vaudront mieux que nous, déjà vieux ou demi-jeunes. Quels avocats! quels magistrats! quels futurs députés dans cette jeunesse ainsi nourrie de grec, de latin, d’histoire, de droit public, à l’occasion du droit civil, et tout entretenue d’Aristote et de Bossuet! Vous faites bien de ne les occuper que de l’admiration des grands écrivains. Comme disait l’empereur, « il n’y a que les grands esprits qui forment les « grandes nations. » Malheureusement, lui, il ne voulait pas que les esprits, grands ou petits, fussent libres le moins du monde, de sorte que dans tout son empire il n’y avait ou il ne restait de grand esprit que le sien. Cela ne nous a pas profité, car un seul ne suffit jamais à tout.

« Mais revenons à ce temps-ci, continua-t-il. Que j’aime la jeunesse de vos écoles! et que ne deviendra pas ce pays lorsqu’il aura seulement, par-dessus nos souvenirs de révolution et de gloire militaire, vingt ou trente ans de bonne liberté constitutionnelle! Ce qui doit y préparer surtout, ce sont les sérieuses, les opiniâtres études. Rien n’est meilleur pour élever et pour discipliner l’âme.

«Voilà ce dont je sais gré à votre Université. Je suis sûr que. bien des jeunes gens ne sortent de vos cours publics que pour aller aux bibliothèques demander de vieux livres, et s’y accouder pour le reste du jour. C’est là où je les aime. Il y a deux ans, à l’époque des escobarderies sur la loi électorale, j’étais désolé quand je voyais des encombremens d’étudians, qu’on appelait des émeutes, entassés autour de la chambre et sur le pont, et j’étais impatienté plus que je ne puis dire le jour où Benjamin Constant faisait écho à ces démonstrations