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REVUE DES DEUX MONDES.

Bowditch avait préparé un plan de Salem, sa ville natale. Ce plan lui fut dérobé, et l’auteur du larcin en annonça effrontément la publication. Bowditch fut d’abord furieux, exprima au plagiaire toute sa colère et tout son mépris, et le menaça de l’attaquer en justice ; puis, ayant appris que cet homme était pauvre, il retourna le lendemain chez lui, et lui parla ainsi : « Je vais vous dire ce qu’il faut faire ; je terminerai le plan, je corrigerai quelques fautes qui s’y trouvent maintenant, vous le publierez à votre bénéfice, et j’écrirai mon nom en tête de la liste des souscripteurs. »

En véritable savant américain, Bowditch s’était formé lui-même, comme le cordonnier pensylvanien Thomas Godfrey, qui apprit tout seul le latin pour lire les Principia de Newton, — comme le jeune Ebnezer Mason, mort à vingt et un ans victime de son ardeur pour les sciences, qu’il avait toutes embrassées, et en particulier de sa passion pour l’astronomie, les veilles ayant achevé de détruire une santé usée par la misère, la maladie, les efforts faits pour gagner sa vie dans les heures qu’il dérobait à l’étude afin d’avoir du pain. L’énergie et la résolution, si éminentes chez le peuple américain, se retrouvent souvent dans la carrière des hommes de science comme dans les autres carrières ; ils font eux-mêmes leur savoir, ainsi qu’on fait ici soi-même sa fortune. La tendance de l’esprit scientifique est marquée de ce caractère d’intrépidité et de confiance en soi qui signale toutes les entreprises. Les études de Franklin sur la foudre montrent une combinaison de sagacité, de courage et de sang-froid qui est bien américaine. L’audace poussée jusqu’à la déraison a conduit un mathématicien des États-Unis à chercher, pour la géométrie, d’autres élémens que le point sans étendue et la ligne sans largeur. Les tentatives de M. Seba Smith sont un saut hardi dans l’impossible.

Malgré mon goût pour le cimetière de Mont-Âuburn, j’aimerais encore mieux rester à Cambridge, y obtenir une chaire, et vivre dans une de ces petites maisons blanches, au milieu des arbres, n’était le climat, qui ne conviendrait nullement à mon larynx ; car dans ce lieu, où l’on peut maintenant se croire en Italie, il fait, l’hiver, jusqu’à vingt degrés de froid, et on se chauffe neuf mois de l’année. À cela près, la vie doit y être fort douce. Les professeurs y vivent en très-bonne intelligence. Il n’y a jamais eu à cela qu’une exception : c’est le professeur de chimie qui a tué un de ses collègues, et caché le corps dans son laboratoire ; mais on espère que la chose ne se renouvellera plus. Sérieusement, les professeurs vivent très bien ensemble. Tous les quinze jours, ils se rassemblent chez l’un d’entre eux, qui donne un souper et lit une dissertation.

Aujourd’hui nous allons finir la soirée chez un autre professeur étranger, ami de M. Agassiz, Suisse comme lui, et, comme lui,