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de vue économique, à ce que la limite de douze heures prévale dans les usages industriels; mais, dit-on, les commandes de rubans arrivent parfois en masses énormes aux maisons de fabrique, et semblent réclamer un supplément de travail. Si cette exigence se manifestait rarement, on pourrait, sans grands inconvéniens, s’écarter d’une règle à laquelle la loi, même dans les industries où elle est applicable, permet, en certains cas, d’apporter des exceptions. Malheureusement l’exception tend bientôt à prendre la place de la règle, et alors reparaissent ces abus contre lesquels se sont élevés, avec une énergie qui les honore, d’éminens manufacturiers dans les diverses régions de la France. La limitation de la durée du travail journalier à douze heures, qui doit être regardée comme un des bienfaits de notre législation industrielle, a d’ailleurs l’avantage de réagir contre l’habitude à laquelle le commerce cédait de plus en plus, et souvent sans nécessité, d’attendre à la dernière heure pour transmettre ses commandes en fabrique. Quand les commissionnaires sauront bien qu’on ne travaille plus seize et dix-huit heures par jour, ils s’y prendront un peu plus tôt, au grand avantage de l’industrie comme à celui des travailleurs; il est bien rare qu’ils ne soient pas libres de gagner quelques jours. On ne verra pas plus qu’aujourd’hui les commandes s’en aller vers les fabricans du dehors : elles ont la plupart du temps trop de raisons pour rester en France. Qu’on ne l’oublie pas, — dans la rubanerie, le travail prolongé la nuit peut avoir des suites funestes et réduire considérablement la période durant laquelle un individu jouit d’une assez bonne vue pour conduire un métier de rubans façonnés. En répartissant l’ouvrage sur un plus grand nombre de journées, la limitation tend aussi à réduire les temps de chômage. Il vaut mieux, pour l’économie domestique et pour la moralité privée, que le tisseur gagne une certaine somme en trois mois que de la gagner en six semaines pour rester six semaines inoccupé. Les ouvriers de la passementerie sont, de tous les travailleurs de Saint-Etienne, ceux qui reçoivent les plus forts salaires. Un chef d’atelier peut tirer d’un métier 100 à 125 francs par mois en laissant au compagnon qu’il emploie une somme égale. Quelques ouvrages de luxe rapportent même davantage.

Le régime de l’industrie métallurgique de Saint-Etienne se rapproche, du moins sous un rapport, de l’organisation de la rubanerie : tous les ouvriers de la quincaillerie et presque tous ceux de l’armurerie travaillent à leur domicile et avec des instrumens qui leur appartiennent; les matières qu’ils emploient sont en outre achetées par eux. Les ouvriers armuriers attachés à la fabrique nationale se trouvent dans une position exceptionnelle, qui ne permet pas de les prendre pour terme de comparaison. Exposés depuis une vingtaine d’années à d’assez dures vicissitudes, les autres ouvriers de cette catégorie