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qui ne permettaient de confectionner qu’une seule pièce à la fois, soit unie pour les métiers à basse lisse, soit façonnée pour les autres. Maintenant, si on excepte les femmes et quelques travailleurs isolés des campagnes, on n’emploie plus que des métiers dits métiers à barre, avec lesquels un seul homme peut fabriquer jusqu’à 32 ou même 36 pièces à la fois[1]. Le prix de ces appareils est beaucoup plus élevé que celui des métiers de l’industrie de Lyon, où chacun peut devenir chef d’atelier avec 250 ou 300 francs d’économie. Les métiers à barre coûtent en moyenne 1,000 francs; il y en a qui sont en noyer ou même en acajou, et qui valent de 2,000 à 3,000 francs. Ces derniers brillent comme des pianos; mais le bruit monotone qui s’en échappe suffirait pour apprendre que le bras qui les manie est réduit à répéter sans cesse les mêmes mouvemens. Le tisseur de rubans, une fois le métier monté, n’a plus, en effet, qu’à lever et à pousser une longue barre en bois placée en avant de l’appareil, et les petites navettes chargées de fils marchent comme par enchantement. La barre étant souvent lourde à remuer, il faut avoir l’habitude de ces saccades continues pour ne pas être promptement hors d’haleine. Les yeux se fatiguent cependant plus que les bras. On est obligé, à tout moment, quand se brisent des fils extrêmement ténus, de les rattacher à un faisceau d’autres fils dont les couleurs variées et scintillantes causent un continuel éblouissement. Aussi la vue s’affaiblit-elle plus vite dans le tissage des riches articles façonnés que dans la plupart des autres fabrications. L’industrie des lacets n’impose point de semblables exigences : d’ingénieux appareils se chargent de toute la partie pénible du travail, et ne laissent aux femmes que des soins peu fatigans, soit pour les yeux, soit pour les bras. On a bien essayé d’employer aussi dans les rubans le secours d’un moteur mécanique. On cite, à quelques lieues de Saint-Etienne, un atelier hydraulique qui renferme 85 métiers ; mais la tendance de cette fabrication à se constituer en grands ateliers est très peu sensible : la rubanerie paraît un peu plus disposée à quitter la ville pour se répandre dans la campagne ; toutefois elle émigré de Saint-Etienne moins vite que le tissage des étoffes de soie unie n’émigré de la cité lyonnaise.

Les rubaniers stéphanois ne prolongent pas, comme à Lyon, la journée de travail effectif durant quatorze et seize heures; depuis 1848, ils ne travaillent que douze heures sur vingt-quatre. Bien que la loi sur la durée du travail laisse les ateliers proprement dits en dehors de ses dispositions, il n’est pas douteux qu’il n’y ait ici, comme partout, un véritable intérêt public au point de vue moral et au point

  1. Ces appareils sont de deux sortes, à barre tambour pour les pièces unies, et à barre Jacquart pour les pièces façonnées.