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Partout, même en Russie, on vante nos auteurs.

Maintenant la Russie est à notre porte, c’est une province littéraire de la France ; mais un peu plus loin, au Canada, il en est de même qu’en Russie : toutes les jeunes filles savent par cœur l’Automne de M. de Lamartine. M. Chauveau, bien que jurisconsulte et homme politique, cultive avec goût la poésie ; il a écrit, pour défendre son pays contre quelques sévérités françaises, des vers très français de tour et d’esprit, et qui ne semblent point du tout venir de l’autre monde.

Autrefois le commerce du Canada consistait surtout en fourrures. Il faut lire dans l’introduction, Astoria, tracée par la plume élégante de Washington Irving, la peinture de l’existence presque féodale des membres de la compagnie du nord-ouest ; l’auteur peint aussi la vie aventureuse des voyageurs canadiens, qu’il a vus dans sa jeunesse. Les premiers apparaissent dans la splendeur patriarcale de leurs banquets hospitaliers ; les autres, tels qu’ils sont encore aujourd’hui, campant et bivouaquant près des feux allumés au bord des fleuves ou faisant entendre aux rives solitaires des grands lacs les refrains grivois qui charmaient nos pères, et qui, maintenant oubliés d’une génération plus morale ou plus morose, vont expirer, contraste bizarre, dans les majestueuses solitudes des forêts du Nouveau-Monde.

Aujourd’hui le principal commerce du Canada est le commerce des bois. On l’accuse de séduire et de démoraliser les Canadiens par l’existence tour à tour très pénible et très oisive qu’il impose. Un proverbe dit que le raftsman (celui qui amène le bois coupé dans les forêts le long des fleuves) se trouve à la fin de l’été avec une constitution épuisée, des habitudes d’ivrognerie, une paire de pantalons et un parapluie.

Cette vie misérable n’est pas sans poésie, et cette poésie a été exprimée assez heureusement dans un chant composé aux États-Unis. Le Maine a aussi dans ses forêts des abatteurs (lumberers), et c’est l’un d’eux que le poète fait parler :


« Frappons, que chaque coup ouvre passage au jour, que la terre longtemps cachée s’étonne de contempler le ciel ! Derrière nous s’élève le murmure des âges à venir, le retentissement de la forge, le bruit des pas des agriculteurs rapportant la moisson dans leur demeure future.

« Reste qui voudra dans les rues des villes, ou se plaise sur la plaine nivelée. Donnez-nous la vallée couverte de cèdres, les rochers et les sommets du Maine. Tenons-nous-en à notre pays boréal, sauvage et boisé ; rude nourrice, mère vigoureuse, garde-nous sur ton cœur. »


30 septembre, Montréal.

Je suis parti hier soir de Québec, et ce matin me voilà de retour à Montréal. La sympathie pour un Français d’Europe que j’ai trouvée