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vivait ce mastodonte, la végétation, et par suite la température de l’Amérique septentrionale, n’ont pas changé notablement.

On a trouvé en assez grand nombre des débris de mastodonte dans diverses parties des États-Unis. En 1706, on fit une trouvaille de ce genre près d’Albany, dans l’état de New-York. À ce sujet, le gouverneur Dudley écrivait à un théologien de Boston que « ce devait être un débris de quelque être humain dont le déluge seul avait pu triompher, qui, pendant la catastrophe, avait dû tenir sa tête au-dessus des nuages, mais avait fini par succomber. » Le révérend Cotton Mather, à qui étaient adressées ces considérations géologiques, avait, pour son compte, sur la foudre des opinions fort différentes de celles que fit prévaloir la découverte de Franklin. Le bon théologien considérait la foudre comme un produit du malin esprit, « et c’est pour cela, ajoutait-il, qu’elle frappe volontiers les clochers. »

Outre cette exhibition géologique, qui est permanente, il y a en ce moment à Boston une exhibition artistique à l’Athenæum, établissement particulier qui est parvenu à se former une bibliothèque de quarante mille volumes. On y voit depuis quelques jours un tableau d’Hayley où est représenté le grand orateur whig M. Webster, prononçant ces paroles qui résument la politique de tous les patriotes éclairés des États-Unis : Liberté et union pour toujours ! En ce moment, M. Webster est à Boston. Il est question de relever le parti whig abattu dans les dernières élections. Le moment est bien choisi pour exposer le tableau d’Hayley, car aux États-Unis la politique a le pas sur tout le reste, et l’intérêt pour les arts a grand besoin d’être aidé par elle. Ce tableau est un portrait. Tout est sacrifié à la figure principale ; les traits caractérisés, la tête puissante, l’attitude dominatrice de l’orateur, sont rendus avec énergie et avec un peu d’affectation, ce qui n’est peut-être pas un défaut de ressemblance. J’ai éprouvé un vif sentiment de plaisir en reconnaissant, parmi les auditeurs représentés dans le tableau, un Français que le peintre a eu la pensée d’associer aux notabilités américaines, tant sa célébrité est inséparable de l’Amérique : c’est nommer M. de Tocqueville. Presque au début d’un voyage inspiré par son livre, et protégé par son amitié, il m’a été doux de le rencontrer sur cette terre étrangère, comme s’il m’y attendait pour me tendre la main.

Avant de quitter Boston, j’ai été assez heureux pour contempler un des résultats les plus extraordinaires de la puissance du sentiment d’humanité : j’ai vu Laura Bridgeman, cette jeune fille née sourde-muette et devenue aveugle peu de temps après sa naissance, dont l’histoire est déjà connue en Europe, surtout par le récit de M. Dickens. Ce voyageur, si sévère et si ingrat pour l’Amérique, n’y a guère admiré que Laura Bridgeman, apparemment parce qu’elle ne