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canadienne court beaucoup moins de risque avec elle qu’avec les États-Unis, et qu’une annexion opérée par ce peuple envahissant serait la mort de cette nationalité. Autant vaudrait tomber dans le gouffre du Niagara. Voilà ce qui faisait parler aujourd’hui M. Neilson ; du reste, il n’a jamais changé. Il y a vingt ans, il disait à M. de Tocqueville : Nous resterons avec les Anglais jusqu’à ce qu’ils nous forcent de les combattre. Cette nécessité est venue, M. Neilson les a combattus et même battus. Aujourd’hui,* avec un égal patriotisme, il résiste aux annexionistes et vient le déclarer dans une fête au fond de laquelle est, pour un grand nombre de ceux qui m’entourent, la pensée de l’annexion.

Le soir, j’ai été dans le beau monde. Le président a paru dans un salon, où il ne s’était pas trouvé autant d’uniformes anglais depuis la guerre de l’indépendance. On venait saluer Mme Fillmore, qui prenait très-bien sa situation de princesse du sang et ne montrait ni hauteur ni embarras.

J’ai terminé cette journée par une délicieuse promenade sous les ormes du parc, dont une lune magnifique découpait le sombre et gracieux feuillage.


19 septembre.

Ce jour est le grand jour. D’abord procession des métiers, puis dîner de quatre mille personnes ; le soir, illumination et feu d’artifice : tout cela en l’honneur de sa majesté le chemin de fer. — Boston, me dit M***, veut se montrer avec toutes ses ressources, with all his power.

Quelques précautions sont prises contre les vols. Partout on lit affiché : Prenez garde aux filous, beware of pick-pockets. On a fait venir tous les individus suspects, on les a montrés à la population, pour que chacun pût les reconnaître au besoin. Du reste, j’ai compté près de deux cents policemen, bel et bien armés de truncheon ; seulement, à cause de la fête, cette petite massue était enveloppée de papier doré.

Vers midi, la procession commence. En tête sont le président et ses ministres, lord Elgin et les autorités de Boston. Ce qui me frappe d’abord, c’est le grand nombre d’uniformes qui figurent dans cette fête toute civique : voici des lanciers qui n’ont pas, il est vrai, la tournure aussi militaire que ceux que je voyais, il y a un mois, galoper dans le Champ-de-Mars ; voici des bonnets à poil, des habits bleus, gris, rouges, des vestes à la hongroise, etc. S’il existait autant de régimens qu’il y a d’uniformes, la ville de Boston aurait sur pied une armée formidable ; mais j’apprends que ce sont des compagnies de volontaires, qui, s’étant organisées librement, choisissent leur costume comme elles nomment leurs officiers. Évidemment les