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l’exportation, ce n’est plus la viande qui est recherchée, c’est la laine, parce que la laine s’exporte plus aisément. Au même moment où l’Angleterre bannissait de chez elle le mérinos, elle le transportait dans ses colonies. Il s’est trouvé, à l’autre extrémité des mers, des régions désertes et indéfinies admirablement propres à la race espagnole. Cette race s’y est largement multipliée, et un nouveau monde a été créé. Des villes magnifiques se sont élevées comme par enchantement sur ces parages inhabités. Le flot de l’émigration britannique s’y répand comme une mer toujours montante. C’est pourtant un faible animal, le mouton, qui produit toutes ces merveilles. Un moment on a pu craindre que la découverte des mines d’or ne fît abandonner les pâturages, et toute l’Angleterre s’en est émue, mais ces craintes sont un peu calmées, et le mouton le dispute même à l’or.

Au commencement de ce siècle, l’Angleterre tirait de l’Espagne la moitié de ses laines importées; aujourd’hui l’Espagne ne paraît plus que nominalement sur ses états d’importation. Des pays qui ne donnaient pas une livre de laine il y a cinquante ans, dont le nom même était à peu près inconnu, figurent aujourd’hui sur ces états pour des quantités énormes. Telles sont les colonies britanniques dans l’Australie, qui fournissent 40 millions de livres de laine, la colonie du cap de Bonne-Espérance et les possessions anglaises de l’Inde, qui en envoient 10 à 12 millions. Ces laines sont d’une qualité excellente et s’améliorent tous les jours. Les producteurs viennent de ces pays lointains disputer à nos cultivateurs les béliers de Rambouillet, qu’ils paient fort cher. En réunissant au produit de ses moutons indigènes celui de ses moutons coloniaux, l’Angleterre réalise tous les ans une richesse de 6 à 700 millions qu’elle double ensuite par ses manufactures. Admirable pouvoir de l’industrie humaine quand elle sait tirer habilement parti des dons de la Providence!

Dépassée pour la production de la viande par la partie européenne de l’empire britannique, la France l’est encore pour la production de la laine par l’union des colonies et de la métropole. Ce ne sont pourtant pas les ressources naturelles qui nous manquent, et nous avons, soit dans notre propre sol, soit dans notre colonie africaine, bien autrement rapprochée de nous que les colonies australiennes, de quoi rivaliser largement. La même distinction qui s’est établie chez nos voisins devra probablement s’introduire un jour entre notre sol national et notre possession coloniale; chez nous, sans renoncer précisément à la laine, les éleveurs tourneront leur attention vers la production de la viande plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’ici; à leur tour, les éleveurs algériens ont devant eux un immense avenir pour la production de la laine; les uns et les autres devront travailler