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des ministres et ne forment en réalité qu’un comité du cabinet; mais la nouvelle organisation, au moment où elle fut adoptée, ne faisait pas tomber les griefs élevés contre l’administration antérieure de la compagnie, et Pitt était loin de défendre tout le passé.

L’Inde est la région du monde où les Anglais ressemblent le plus aux Romains. Avec une poignée de fonctionnaires ou de magistrats, avec quelques légions, ils y gouvernent, sur un territoire immense, près de quatre-vingts millions de sujets, qui conservent leurs lois, leur culte et leurs mœurs. Ce pouvoir sans égal s’exerce avec équité et modération; mais il n’a pu s’établir ainsi. La tyrannie est presque toujours la compagne de la conquête, et de terribles proconsuls ont plus d’une fois porté parmi ces peuplades tremblantes les faisceaux du peuple-roi. L’âme pure et sévère de Burke devait s’émouvoir à ce spectacle. Il ne consentait pas à séparer la politique de la justice. Et en même temps la grandeur des choses, la nouveauté des scènes frappait, échauffait son imagination. On a parfois trouvé aux imaginations irlandaises quelque chose d’oriental. Telle était celle de Burke; elle ne pouvait que se plaire et s’exalter à l’aspect de ce monde de l’Asie ouvert devant elle, où les événemens, les monumens, la nature, tout prend un caractère pittoresque et poétique. Aussi, trouvant là comme une inspiration nouvelle, le vit-on rajeunir en quelque sorte son talent, le grandir à des proportions inconnues, et, suivant le penchant de son esprit, exagérer souvent les idées, les formes et les couleurs. Son goût comme sa colère put passer les bornes, car il se crut tout permis : il peignait l’Orient et combattait la tyrannie.


CHARLES DE REMUSAT.