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rejeta, il osa dissoudre le parlement (mars 1784). On aurait cru que l’opinion décernerait le pouvoir à Fox plutôt qu’à lui, car sa réputation était alors bien inférieure à celle de son rival, et pourtant la réélection lui donna raison. Cent soixante opposans restèrent sur le champ de bataille. On les appela les martyrs de Fox; c’est le titre d’un martyrologe protestant. Fox et Burke furent réélus; mais le changement avait été si brusque, Pitt avait paru si téméraire, il était si jeune et si nouveau, que les vieux athlètes ne pouvaient croire encore à sa victoire. Ils en doutèrent longtemps, et ils agirent en conséquence. Burke demeura toute sa vie si touché et pour ainsi dire si scandalisé de ce résultat, qu’il ne le pardonna jamais à Pitt, et que, même en se rapprochant de lui, il n’eut jamais ni goût pour sa personne ni admiration pour ses talens. Il l’appelait le sublime de la médiocrité.

La situation d’hommes politiques qui ont perdu la majorité n’est jamais facile. Elle ne fut point favorable à Burke. Il n’avait pas comme Fox ce caractère ouvert et simple, cette humeur facile et liante, cette flexibilité de talent, cet art de discussion, qui séduisaient jusqu’à ses adversaires et le rendaient populaire encore quand ses opinions cessaient de l’être. Plus âgé que lui de vingt et un ans, plus homme de lettres et moins homme politique, Burke avait plus de raideur dans l’esprit, des prétentions plus tranchantes, un ton plus absolu et plus intolérant. Transporté dans un monde nouveau, entouré de jeunes ambitieux dont il était peu connu, il ne se préserva pas assez de l’impatience et du dédain. Inhabile aux ménagemens, irrité, dégoûté, il ne sut pas s’accommoder au temps, et la chambre des communes devint pour lui un auditoire sévère, hostile même. Ses discours avaient toujours paru trop longs et trop fréquens. Le respect et l’habitude avaient empêché longtemps qu’on ne l’en fît apercevoir; mais le respect et l’habitude manquaient à la nouvelle chambre. Burke s’en aperçut plus d’une fois. Un jour, il s’était levé tenant à la main un rouleau de papier d’une grosseur effrayante. Un membre de la classe de ceux qu’on nomme country gentlemen eut l’impertinence de dire qu’il espérait que l’orateur n’avait pas l’intention de lire cette énorme liasse de pièces, en y joignant un long discours par dessus le marché. Burke interdit et indigné sortit de la chambre sans trouver une parole. « La fable est réalisée, dit George Selwyn, si fameux par ses bons mots; un âne qui brait donne la chasse à un lion. »

On peut faire remonter à cette époque la décadence parlementaire de Burke. Cependant il ne se découragea pas, et il eut encore de bien beaux jours, mais ses échecs furent nombreux. Dès l’ouverture de la session, il proposa avec Windham, Irlandais de grande