Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/25

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
PROMENADE EN AMÉRIQUE.

est, en somme, meilleur pour le monde que ne le serait, à sa place, la sainteté, que non seulement il est permis par le père des lumières, mais, en son lieu, préféré par lui à la sainteté et introduit directement par son action. Enfin on mit en avant ce dogme étrange, « que le désir d’être damné pour la gloire de Dieu est nécessaire au salut. » À ces violences dogmatiques s’était opposé, dès le principe, un parti de théologiens modérés, appelé le parti des anciennes lumières ; mais les nouvelles lumières prévalaient chaque jour davantage. Les Américains apportent dans la religion l’ardeur et l’impétuosité qu’ils mettent en toute chose ; même aujourd’hui, dans l’hôpital de Worcester, le nombre des fous pour cause de religion égale celui des fous pour cause d’intempérance. Puis vinrent les revivais avec accompagnement de convulsions et de frénésie, les sermons des prédicateurs ambulans, qui insultaient les ministres établis, et décrivaient les tourmens de l’enfer à leur auditoire de manière à lui donner des attaques d’épilepsie. Le méthodiste Whitefield vint deux fois d’Angleterre aviver encore cet enthousiasme, qui touchait au délire. Les chaires, qui s’étaient d’abord ouvertes pour lui, lui furent fermées. Alors il prêcha sous le grand orme du parc, devant trente mille auditeurs. Toute cette exaltation finit par révolter le bon sens des Bostoniens. La résistance à ces saturnales du fanatisme religieux est venue, après plusieurs générations, aboutir à l’unitairianisme. Repoussé par une doctrine qui anathématisait la liberté morale, dégoûté par des excès de convulsionnaires, on s’est jeté, pour ainsi dire, à l’autre extrémité du christianisme, sauf à être tout près d’en sortir. Voilà comment l’unitairianisme a pu faire des progrès si considérables à Boston. Aujourd’hui il y a dans cette ville vingt églises unitairiennes, et il n’y en a que quatorze qui se rattachent au puritanisme, savoir : treize congrégationalistes et une presbytérienne ; il y en a dix épiscopales, dix catholiques, huit baptistes ; c’est donc l’unitairianisme qui est en majorité.

En attendant le sermon de M. Walker, j’ai parcouru le livre qui contient les hymnes composées pour la congrégation unitairienne devant laquelle il va prêcher. Ces hymnes sont en général consacrées aux vérités de la religion universelle. On y trouve la prière de pope. Jésus-Christ y est appelé l’homme du Calvaire, le grand prophète. Cependant deux faits surnaturels sont mentionnés dans ces hymnes : la résurrection et le second avènement du Christ. L’unitairianisme n’est donc point un pur déisme, c’est une secte chrétienne prenant l’Écriture pour base de sa foi et l’interprétant à sa manière. La forme extérieure du culte est la même que dans les églises calvinistes ; mais le sermon ne saurait être accusé de mysticisme, ce sermon me surprend même pour un sermon unitairien. Ce n’est pas un discours