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cette idée qu’avec un peuple de même race, avec des concitoyens, la paix ne peut être obtenue par la guerre; les moyens doivent être aussi pacifiques que le but. Il faut beaucoup céder, parce que le temps a marché et rend insuffisant ce qui, peu d’années auparavant, eût été efficace. Il faut beaucoup céder, parce que le peuple américain est un peuple fier. « L’Angleterre, monsieur, est une nation qui, je l’espère, respecte encore, qui autrefois adorait la liberté. » Les colons ont quitté cette première patrie, alors que cette passion était le plus vivement allumée. La taxation a toujours été une question décisive pour les droits du peuple. Cette question, on peut ne pas la résoudre, mais c’est à condition de ne point la poser et d’assimiler autant que possible, comme la principauté de Galles ou le comté palatin de Chester, les colonies à la métropole. Qu’on leur donne une représentation régulière, elles useront de leurs droits pour la grandeur du pays qui les aura reconnues.

Traduire ce discours est impossible. L’analyser c’est l’éteindre. Fox disait vingt ans après en plein parlement : « Que les jeunes membres lisent ce discours le jour et qu’ils le méditent la nuit; qu’ils le repassent et le repassent encore, qu’ils l’étudient, le gravent dans leur esprit, l’impriment dans leur cœur; c’est là qu’ils apprendront que la représentation est le souverain remède à tous les maux. » — Il n’y parut pas cependant cette fois, et les treize propositions conciliatrices furent écartées par la question préalable à 270 voix contre 78.

L’histoire de la sibylle est souvent celle des gouvernemens. Au début des grandes affaires, ils croient avoir bien des feuillets à lire avant d’arriver au dernier. Confians dans l’avenir, fiers de leurs forces, ils refusent ou dédaignent de céder; c’est le pis, disent-ils, qui puisse arriver, et il sera toujours temps. Mais l’occasion n’est pas si complaisante, et qui la renvoie quand elle s’offre s’expose à la poursuivre en vain lorsqu’elle a fui. Ce qui était décisif d’abord devient insignifiant, ce qui était facile devient impraticable, et l’on risque d’appeler la sibylle, lorsqu’elle a déchiré jusqu’à la dernière page du livre qui renfermait le secret de l’avenir.

Ainsi le ministère opposa une résistance opiniâtre soit aux instances répétées de l’opposition, soit aux leçons des événemens. La guerre avait commencé au combat de Bunker’shill; Washington commandait une armée; les Américains avaient proclamé leur indépendance. Aussi les motions parlementaires se succédaient-elles rapidement. A l’ouverture de la session de 1777, Burke éclata avec la dernière véhémence, et, dans un discours que l’on n’a plus, éleva aux nues l’héroïsme de ces nouveaux soldats de la liberté. « Est-ce aux vieux; Bretons, disait-il, d’insulter une telle vertu? Persisteront-ils à l’opprimer? » Et les débats atteignirent un tel degré de violence, que la