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comprendre le fond du gouvernement représentatif, curiosité innocente! On y trouvera toute la solidité et tout le piquant, toute l’élévation et toute la vivacité que ce genre d’écrit peut réunir, tout ce que la méditation de l’histoire et l’expérience des affaires peuvent enseigner sur un sujet donné à un esprit fécond et pénétrant, tout le vrai et rien que le vrai. Burke ne s’était pas encore élevé aussi haut; il a déjà toutes ses qualités, et ne laisse encore apercevoir aucun de ses défauts. Les premières ont pu grandir, mais alors les seconds ont paru. Comme il est un des hommes qui ont le mieux prouvé que l’imagination est une des facultés qui vieillissent le moins, qu’elle peut, au contraire, devenir avec l’âge et plus vive et plus riche, il a pu faire depuis des choses plus brillantes, mais non de meilleures choses; il a écrit avec encore plus de mouvement, avec encore plus d’éclat, mais il s’est quelquefois ébloui, quelquefois emporté; son talent n’a été parfait qu’une fois.

Johnson lui-même répondit indirectement à Burke. C’est alors du moins qu’il publia la Fausse Alarme, écrit mesquin d’un tory lettré, qui vous enseigne que la liberté n’a pas de meilleure garantie qu’un bon roi. Cela est digne de sa réponse à Junius, dont les lettres paraissaient alors et produisaient une vive sensation, encore accrue par le mystère de leur origine. Ce moment est cité comme celui où la presse politique a pris son rang. Burke et Junius ont doté leur pays d’une branche de littérature nouvelle. Jamais avant eux le talent ne s’était immortalisé par un pamphlet. Leurs deux noms se rapprochent si naturellement, qu’on a même essayé de n’en faire qu’un, et dès le temps où il parut, le succès de l’écrit de Burke fut tel qu’il donna crédit au bruit déjà répandu, qu’il pouvait bien être le terrible et impénétrable anonyme. Quoique, à mon avis, la supposition ne soit pas soutenable, elle fit fortune alors et depuis, et sir Philip Francis lui-même renvoyait quelquefois à Burke l’honneur qu’il refusait d’accepter.

Burke et Junius ont tous les deux un rare talent, mais chacun un talent bien différent. Celui de Junius est dur et orné, travaillé dans sa violence, et la passion qui l’échauffe ne dissimule pas l’art qui le guide. Il mêle la logique et l’invective; il aiguise ses mots et concentre une idée dans chaque phrase, mais répète l’idée en variant la phrase, car il a plus d’invention dans le style que dans la pensée. Quand il raisonne, il se serre davantage, il devient sec et nerveux; mais sa dialectique est plus forte que sa raison n’est puissante. Il est élevé, mais étroit, et l’on ne sent pas en lui un de ces riches esprits qui se prodiguent et ne s’épuisent pas. Burke assurément ne manque ai de vivacité ni de chaleur, et, quoique de fortes convictions l’animent, il se souvient en écrivant des secrets du métier. Telle est