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l’acte du timbre. Ces mesures, comme toutes celles du ministère, ne tendaient qu’à réparer le mal par un retour aux principes de conduite que l’administration précédente avait abandonnés. Le premier et le plus moral de tous ces principes, c’est que les hommes et les partis soient fidèles à eux-mêmes, c’est que, sous le prétexte de faire les affaires avant tout, on ne brise pas tous les liens de l’honneur politique.

Quoique cet ouvrage de Burke soit excellent et qu’il puisse même se lire avec intérêt, si l’on veut bien connaître les affaires anglaises à cette époque, on devra chercher encore ailleurs la plus haute mesure du talent de l’écrivain. Les Pensées sur les Causes des mécontentemens actuels, qu’il publia en 1770, sont à nos yeux le premier de ses écrits qui l’ait classé à son véritable rang. Le cabinet était changé; lord North était premier ministre; la haine publique, ne poursuivait spécialement aucun de ses collègues. Les atteintes portées du temps de Wilkes à la liberté des citoyens avaient vieilli. Lord Bute était sorti du pouvoir depuis sept ans. L’aveuglement obstiné qui devait conduire le roi et son conseil à la perte des colonies américaines n’inquiétait pas l’opinion et flattait même l’orgueil national. Cependant l’Angleterre était mécontente. Une vague inquiétude s’élevait sur la vertu même de ses institutions : répondaient-elles bien à la confiance qu’elles inspiraient? n’avaient-elles pas souffert de l’action du temps, des atteintes de la corruption? quelque révolution ne les menaçait-elle pas, qu’elle vînt d’un complot de la cour ou d’une explosion populaire? Il régnait dans les esprits beaucoup de défiance, d’irritation, d’anxiété, de découragement. La division des partis, et surtout de leurs chefs, semblait rendre impossible à l’opposition le succès, au pouvoir le gouvernement. Ce moment de l’histoire parlementaire mérite d’être étudié. Voici comment on pourrait, d’après Burke, rendre raison de la situation.

Tout le monde en effet était mécontent. Le gouvernement accusait les partis, le public s’en prenait au pouvoir; cependant le pays était riche et prospère. On ne saurait prétendre qu’en de tels conflits d’opinion jamais la nation n’ait tort; mais la présomption est en sa faveur. La nation n’est pas intéressée, par système ou par amour-propre, à persister dans une erreur; elle ne peut avoir de mauvaise intention; son intérêt est le bien public; elle se plaint parce qu’elle souffre. Toutefois, si elle se plaignait en 1770, ce n’est pas que ses griefs fussent les mêmes que ceux qui l’avaient irritée dans le siècle précédent, et les défenseurs du pouvoir prenaient ou donnaient le change, lorsqu’ils s’évertuaient à prouver qu’il n’y avait rien à craindre de ce qu’on avait justement craint sous les Stuarts. Les temps étaient changés, et avec les temps les abus et les dangers. Si l’on