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écrivit donc dans les journaux ; mais ces premiers essais de sa plume sont restés inconnus.

On sait aussi qu’il fréquentait les théâtres, qu’il recherchait les gens de lettres, mais ne négligeait pas les études les plus sérieuses. La philosophie, qu’il appelle « la reine des sciences et la fille du ciel, » l’occupa quelque temps, quoiqu’il ne fût point, par la nature de son esprit, destiné à y faire de grands progrès. Deux ou trois ans après son arrivée à Londres, il se porta candidat à la chaire de logique de l’université de Glasgow, et composa, pour se donner des titres, une réfutation du système de Berkeley qui n’a pas été conservée. C’est vers le même temps qu’il fit en France un premier voyage dont il n’est pas resté de traces. Peut-être alors visita-t-il la maison des jésuites de Saint-Omer où beaucoup de jeunes Irlandais étaient élevés, et c’est cette relation momentanée que la malignité aura exploitée plus tard. Ses premières années de jeunesse furent tellement obscures, qu’il a été facile d’y semer des fables. Ce n’est qu’à vingt-huit ans qu’il put enfin se faire un peu connaître, en publiant sa Défense de la société naturelle.

Il ne faut pas se méprendre au titre : ce n’est pas l’exposition d’un système, ni la démonstration de cette thèse qu’il y a un ordre social fondé sur la nature ; c’est, sous une apparence sérieuse, une dissertation étendue, trop étendue, où l’on prouve que tous les maux de l’humanité lui viennent de la société artificielle, c’est-à-dire des gouvernemens et des lois. D’où put naître cette conception singulière si peu d’accord avec les opinions générales de Burke, qui toute sa vie fit profession de mépriser les abstractions politiques ? Était-ce un paradoxe adopté légèrement par un jeune écrivain qui veut un début brillant et cherche à surprendre pour être admiré ? Nullement ; l’ouvrage est d’un bout à l’autre ironique. C’est une thèse soutenue avec l’art d’un sophiste à dessein de montrer qu’il faut se défier du talent et du raisonnement, et qu’il est aisé de rendre l’erreur plausible et l’absurdité persuasive.

Les ouvrages philosophiques de Bolingbroke avaient paru quelque temps après sa mort (1754). Cette publication fit du bruit et même du scandale. De son vivant, la liberté de ses opinions en matière religieuse était connue ; ses écrits sur ce sujet ne l’étaient pas. Or, dans ces essais adressés à Pope et qui sont peu lus aujourd’hui, il insistait tant sur les tristes effets de la superstition et de l’intolérance, qu’il semblait conclure à la condamnation de la religion même. Sa réputation d’écrivain était telle, que les gens d’esprit se croyaient obligés d’exalter son génie malgré son caractère, et ses ouvrages malgré ses principes. On proclamait sa manière inimitable. Le jeune Burke entreprit de l’imiter, et il y réussit tellement, que Mallett, l’éditeur