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danseuse, qui paraît avoir perdu quelque chose de son audace, a été fort bien accueillie par le public, qui aime son talent.

Les concerts sont en pleine floraison. M. Vieuxtemps en a donné deux où il a fait entendre un nouveau concerto de sa composition qui est tout à fait remarquable. M. Sivori, un autre célèbre violoniste, se dispose à se faire entendre aussi du public parisien dans un concert qui aura lieu bientôt. Mlle Clauss, ce talent si exquis et qui joue du piano comme une fée chaste et inspirée, a exécuté dernièrement un concerto de Mendelssohn avec accompagnement de grand orchestre où elle a été admirable. Mlle Clauss doit partir pour Saint-Pétersbourg, où l’art musical fait tous les jours des progrès, car le théâtre italien de cette grande métropole est aujourd’hui le premier de l’Europe. Aussi la maison Brandus de Paris vient-elle de fonder à Saint-Pétersbourg une succursale qui sera l’entrepôt musical du Nord et où l’on pourra se procurer tous les chefs-d’œuvre des écoles française et allemande soigneusement édités.

P. Scudo.


Le 18 janvier prochain, on doit vendre, à l’hôtel de la rue des Jeûneurs, la galerie de tableaux du feu prince royal, monseigneur le duc d’Orléans. Cette collection, formée par le prince dans les dernières années de sa trop courte vie, est justement célèbre et précieuse à plus d’un titre. Nous ne parlons pas, on le comprend, de ce prix d’affection qui, pour l’auguste veuve du prince, pour tous les siens, et nous pouvons ajouter pour tous ceux qui l’ont connu et aimé, rend à jamais regrettable la perte de cette galerie ; nous parlons des tableaux eux-mêmes : ils sont d’une rare et incontestable valeur. Le goût du prince, délicat et exercé, le guidait presque toujours heureusement et dans le choix des sujets et dans le choix des maîtres. Cette collection correspond par sa date à une des plus brillantes périodes de notre école moderne, et en est peut-être l’expression la plus complète et la plus élevée. Presque tous nos artistes, aussi bien ceux qui dès lors étaient dans l’éclat de leur renommée que ceux dont le nom perçait à peine, y sont représentés par quelque morceau d’élite propre à caractériser la nature de leur talent. Le prince, comme tous ceux qui aiment et qui sentent la peinture, avait ses prédilections, ses penchans ; mais une certaine impartialité, commandée par son rang, lui faisait rechercher toute production où brillait le talent même au travers du système. Peu d’amateurs si haut placés ont donné aux arts et aux artistes une plus intelligente protection.

Parcourez le catalogue de cette vente : pas un nom justement célèbre n’a manqué à l’appel, et chacun y figure dignement, à commencer par l’illustre doyen de nos peintres. Son Œdipe et sa Stratonice sont là comme deux nobles témoins de deux des phases principales de sa belle vie d’artiste. Dans L’Œdipe, il s’est déjà frayé sa route ; soumis en apparence à ses maîtres et à son temps, il les devance et les abandonne ; il peint comme eux le bas-relief, mais pour y introduire la vie et l’expression ; dans la Stratonice, c’est le maître donnant un délicieux exemple de perfections qui semblent s’exclure, la vérité du costume poussée jusqu’au scrupule archéologique, et le trouble, les combats, les violences de la passion rendus par les traits les plus fugitifs et les plus inspirés.