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du grand Turc. Quelques scènes plus spirituelles que neuves, une complication de mise en scène qui tient l’esprit en éveil, la musique de M, Auber et la grâce de Mlle Duprez ont sauvé la fortune de Marco Spada.

L’école française, dont l’origine ne remonte pas au delà de la seconde moitié du XVIIIe siècle, est un enfant de l’école italienne. La France et l’Italie, qui se touchent par les Alpes et qui se tiennent par tant de liens historiques, s’unissent encore plus étroitement par la similitude des penchans, qui ont produit une civilisation à peu près uniforme. Filles toutes deux de la race latine, dont elles parlent la langue, l’Italie et la France ne se distinguent entre elles que par des nuances. Dans la littérature et dans les arts, qui sont la manifestation la plus essentielle des caractères et de l’individualité nationale, la France se fait remarquer par la supériorité de son goût, par la finesse des aperçus, par la clarté des idées, par l’élégance des détails, la sobriété du langage, et toutes les qualités qu’on pourrait dire secondaires, et qui appartiennent plus à la logique de l’esprit qu’à l’intuition de l’âme. L’Italie brille surtout par la sublimité des conceptions, par l’élévation de la pensée, par la force des passions qui s’épurent en s’épanouissant, et vont aboutir à des formes grandioses, d’une sérénité admirable. Dante, Palestrina, Raphaël, le Tasse, Michel-Ange, Palladio, Titien, Cimarosa, Rossini, sont des génies différens qui tous révèlent les propriétés du sol, de la race et de la civilisation italiennes. Rabelais, Molière, La Fontaine, Voltaire, Poussin, Jean Goujon, Corneille, Racine, Lebrun, Greuze, Puget, Rameau, Méhul, expriment aussi d’une manière saisissante les divers aspects du génie littéraire et esthétique de la France. Veut-on saisir le trait par lequel ces deux peuples se ressemblent le plus? Qu’on étudie la comédie et toutes les manifestations de la gaieté ou de la malice de l’esprit; car le rire étant un éclat involontaire de la raison qui aperçoit une dissonance de mœurs, dissonance qui la blesse sans l’indigner, il n’y a pas de preuve plus certaine qu’on appartient à la même civilisation que lorsqu’on se voit rire des mêmes contrastes et des mêmes ridicules. Dis-moi de quoi tu vis, a dit un philosophe, et je te dirai qui tu es et dans quel milieu social tu vis. L’Arioste ne faisait-il pas les délices de Voltaire? Voilà pourquoi aussi l’opéra comique français doit l’existence à l’opéra buffa des Italiens. Monsigny, Philidor, Grétry, ces charmans musiciens qui ont créé la comédie lyrique, sont des imitateurs heureux et spirituels des Pergolèse, des Vinci, des Léo et des Piccini. Qu’on lise ces agréables partitions, — les Chasseurs et la Laitière, la Fée Urgéle, le Déserteur, le Roi et le Fermier, le Maréchal ferrant, le Tableau parlant, Zémire et Azor, etc., et l’on sera frappé, comme l’a été en 1770 le docteur Burney, d’y trouver plus qu’un souvenir de la Serva padrona, de la Cecchina, et autres opéra buffe des premiers maîtres de l’école napolitaine. Cimarosa, Païsiello, Anfossi et leurs successeurs ont eu également une influence directe sur Dalayrac, Berton, Boïeldieu et Nicolo, compositeurs distingués qui remplissent toute la période qui s’écoule depuis la révolution jusqu’à l’avènement de Rossini, Boïeldieu surtout encore tout imprégné de la grâce de Cimarosa, lorsque dans la Dame blanche, qui est son vrai chef-d’œuvre, il accuse d’une manière sensible que l’auteur du Barbier de Séville est arrivé depuis longtemps. Toutefois les deux compositeurs français qui sont pour ainsi dire les fils légitimes du grand maître de