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froyable et mettre dans ses intérêts les petits capitalistes de France et d’Angleterre, ainsi que les cabinets de Paris et de Londres. Cette résolution, que l’on ne saurait comment qualifier, a soudainement ouvert les yeux aux plus confians sur les plaies de l’empire ottoman. Jusqu’alors, l’esprit de civilisation avait eu la faveur du sultan, et si cet esprit ne pénétrait que lentement dans cette société si rebelle à toute pensée de réforme, au moins il était à l’ordre du jour et pouvait faire illusion. Ceux même qui, frappés de l’indolence des hommes chargés de le représenter, doutaient du plein succès de l’entreprise, se sentaient portés à l’indulgence dans les jugemens qu’ils formulaient sur l’état et l’avenir de la Turquie. Si désireux que l’on fût aujourd’hui de trouver matière à l’éloge dans la politique de la Sublime-Porte, on ne pourrait que blâmer la voie fâcheuse où ce gouvernement s’engage de plus en plus. La défense intimée aux paquebots étrangers de faire le service du Bosphore et l’interdit qui frappe la circulation des monnaies étrangères en Turquie sont venus ajouter des fautes nouvelles aux fautes qui s’enchaînent depuis quelques mois dans ce malheureux pays. C’est dans les plus hautes régions et sous toutes les formes que règne l’influence funeste qui entraine le gouvernement turc dans une série de mesures fatales, et les intrigues qui ont renversé les derniers ministères assiègent le sérail lui-même. On sait que, contrairement à l’usage, contrairement à la loi fondamentale de l’empire, Abdul-Medjid a laissé vivre, au détriment de ses fils, son frère, Abdul-Azis, héritier présomptif du pouvoir. Cet acte de générosité, que l’on ne saurait trop louer du point de vue de l’humanité, n’aura pas eu cependant de brillantes conséquences politiques. Le frère du sultan est devenu le centre de toutes les manœuvres qui mettent aujourd’hui en danger le peu de bien accompli durant les dernières années. Pendant que le jeune prince s’attache volontiers par goût et par politique à flatter les préjugés des vieux Turcs, à réveiller le fanatisme et à remettre en pratique celles des vieilles mœurs qui semblent le moins conformes à la morale des temps modernes, le sultan tremble pour sa vie dans le palais, où il tend de plus en plus à se tenir enfermé. Chaque nuit, sa mère, la sultane Vahdé, croit devoir, dans sa tendre sollicitude, coucher en travers de la porte d’Abdul-Medjid, pour mieux le garantir contre quelque tentative coupable des amis d’Abdul-Azis.

Pendant que les intrigues du sérail prennent cette attristante gravité, l’insurrection des Druses et celle des Monténégrins ne perdent rien de leur importance. Il est désormais bien constaté que les troupes impériales ont été battues dans l’expédition qu’elles ont dirigée contre les rebelles du Liban. Seulement le général turc a voulu colorer sa défaite d’un semblant de dignité ; il a accordé aux insurgés un armistice sous prétexte de leur donner le temps de revenir à de meilleurs sentimens. Cela signifie qu’il leur laisse tout l’hiver pour préparer une résistance plus formidable encore, et qu’au printemps les troupes ottomanes tenteront quelque nouvelle attaque, qui aura moins de chance encore d’être heureuse. C’est à cette triste condition que les Turcs gouvernent une partie du vaste empire qu’ils possèdent ; plutôt nominale que réelle, leur domination est à chaque moment contestée sur divers points. Les Druses toutefois font moins de bruit que les Monténégrins. Ceux-ci occupent chaque jour les cent voix de la presse allemande sous toutes les