Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’ailleurs, ce n’est point une aussi grande anomalie qu’il peut le sembler au premier abord ; c’est une combinaison ingénieuse ou plutôt patriotique qui a l’avantage de n’éveiller aucune suceptibilité en Europe, de laisser libres les relations de la Grande-Bretagne avec les puissances continentales et de placer lord Palmerston à la tête de la plus grande force nationale de l’Angleterre, la milice qu’il a contribué à former l’an dernier. Le nouveau cabinet britannique par sa composition réunit donc bien des élémens de force et de grandeur ? C’est peut-être le plus considérable qui ait existé en Angleterre. La seule chose qu’on puisse dire de lui, c’est qu’il est trop considérable. Il n’est point aisé de faire sortir d’une coalition un pouvoir durable ; il est difficile que tant de chefs de partis vivent longtemps ensemble sans que les difficultés et les impossibilités ne s’élèvent. Oui, il en pourrait être ainsi, si depuis bien des années il ne s’opérait en Angleterre une réelle transformation des partis, si les nuances ne tendaient à s’effacer. Quelle différence y a-t-il, par exemple, entre les tories et les wighs, entre les vues de lord Aberdeen et les vues de lord Russell en beaucoup de points de la politique intérieure ? Reste la politique étrangère, l’action de l’Angleterre au dehors, et c’est ici qu’éclate véritablement le patriotisme anglais. C’est devant ce grand intérêt que plient toutes les prétentions personnelles, c’est lui qui règle toutes les combinaisons. On ne saurait se dissimuler que le nouveau cabinet britannique semble surtout formé en vue de la situation de l’Europe. Seulement on peut se demander quelle circonstance nouvelle a pu rendre faciles tous ces rapprochemens qui paraissaient hier impossibles, comme si l’Angleterre voulait réunir toutes ses forces. Quel conflit s’est élevé ? Quelle lutte est imminente ? Que le nouveau ministère anglais réunisse bien des élémens de force, cela n’est point douteux. Durera-t-il néanmoins ? Telle est la question à laquelle le parlement seul peut répondre. Le nouveau cabinet va se trouver en présence de la phalange compacte des tories dont lord Derby et M. Disraeli restent les chefs, l’un dans la chambre des lords, l’autre dans les communes, et l’ancien et très spirituel chancelier de l’échiquier, qui a été l’objet de nombreuses attaques, est très certainement homme à les rendre avec usure. Lord Derby de son côté a presque ouvert la guerre. Le parlement au reste s’est ajourné après la première déclaration du chef du ministère, de lord Aberdeen, et c’est à l’issue des vacances de Noël que se rouvriront les grandes discussions. Peut-être aussi quelques-uns des mystères de cette crise s’éclairciront-ils. Dans tous les cas, un intérêt nouveau vient s’attacher aujourd’hui à la marche de l’Angleterre.

Ce n’est point, au surplus, en Angleterre seulement que la fin de l’année se signale par des crises politiques, et tous les pays ne sont point assez vigoureusement organisés pour n’y rien laisser d’eux-mêmes. Le ministère espagnol à son tour vient de succomber devant la gravité de la tâche qu’il avait assumée. On n’a point oublié que M. Bravo Murillo avait présenté aux cortès un ensemble de projets dont l’effet était d’introduire plusieurs changemens essentiels dans la législation politique de la Péninsule. Nous avons parlé de ces changemens, qui s’effacent aujourd’hui devant la péripétie nouvelle dont l’Espagne est le théâtre. Il y a souvent quelque difficulté, on le sait, à pénétrer le secret des crises qui éclatent au delà des Pyrénées. Toujours est-il que la cause la plus apparente de la chute de M. Bravo Murillo, c’est qu’il était