Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 1.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus que jamais pour le monde contemporain il y a quelque chose de saisissant dans cette dernière heure jetée entre une période qui s’achève et une période qui recommence.

Il a dix-huit mois, toute cette ombre, toutes ce§ ténèbres qu’amassent et condensent les révolutions, enveloppaient l’année 1852. Tous les regards se tournaient avec anxiété vers cette date comme vers un point noir et menaçant. Plus on approchait, plus le trouble universel augmentait. La France pressentait pour elle-même une catastrophe qui n’aurait point eu d’égale. Les partis en lutte se mesuraient de l’œil, ne sachant à quoi se résoudre. L’Europe émue et inquiète attendait. Le pire de tout, c’est qu’on était arrivé à croire que le droit et la justice ne pouvaient triompher par eux-mêmes et régulièrement. Aussi tout s’organisait-il pour le combat depuis les régions politiques supérieures jusqu’au dernier village : — triste conséquence des situations faussées ! Enfin que devait contenir dans ses flancs obscurs cette année 1832 ? Qui aurait pu répondre à cette question universellement posée par l’effroi public ? La voilà maintenant tombée à son tour dans le passé, cette année redoutée et mémorable ! Elle a dit son dernier mot ; elle a révélé tout ce qu’elle contenait. Rien de ce qu’on entrevoyait avec le plus de terreur n’est arrivé, et ce qui s’est réalisé était bien sans doute dans la logique mystérieuse des choses, mais ne pouvait être dans le pressentiment de la foule, qui ignore cette loi secrète du monde moral en vertu de laquelle les révolutions sont condamnées à périr par la force, comme elles naissent le plus souvent. C’est l’épée, en effet, qui a crevé l’outre pleine de tempêtes et de terreurs ; c’est l’épée qui a dompté le sphinx et lui a imposé une réponse plus favorable à la paix publique. Au lieu du triomphe du socialisme, nous avons assisté à la plus immense réaction d’autorité ; nous avons vu se reconstituer les pouvoirs les plus entiers, et les révolutions de 1848 ne se survivre que par les tendances qu’il était dans leur nature d’enfanter. Partie de la France comme du grand et unique foyer du mouvement européen, la réaction s’est communiquée partout, à l’Allemagne, à l’Italie, à l’Espagne, qui avait cependant échappé aux commotions révolutionnaires. Si on parcourait tous les pays en interrogeant cette énigmatique année sur ce qu’elle a produit, partout elle pourrait répondre : affaissement de l’esprit libéral d’autrefois, transformation radicale du pouvoir, redevenu l’unique régulateur de la vie et de la pensée des peuples. Déjà le 1er janvier 1852 éclairait une société violemment rassise, mais étonnée encore et incertaine de l’issue de l’entreprise du 2 décembre 1851. Le 1er janvier 1853 se lève sur les dernières conséquences de cette évolution qui a changé l’avenir, sur la restauration impériale qui date d’hier à peine, du moins de nom ; il vient éclairer une société chez qui la fatigue de tout tient lieu de foi politique, et qui, sans regret à coup sûr pour les institutions républicaines, assiste à la renaissance des institutions et des usages monarchiques, uniquement préoccupée de voir les intérêts se raffermir, son foyer sauvegardé, l’activité publique reprendre peu à peu son cours, le goût des choses durables retrouver sa puissance.

Est-ce à dire que tous les problèmes soient épuisés, et que l’avenir, — cet avenir de demain qui s’annonce, — soit sans mystère ? Non sans doute : les questions d’un certain ordre vidées, d’autres se lèvent et naissent de cette