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contenues dans vos mémoires que de rendre publique cette lettre que je remets en même temps à M. le premier président.

« Je suis, monsieur, avec les sentimens qui vous sont dus, votre très-humble, etc. »

« Gin.[1] »
« Ce 15 juin 1774. »


À travers la morgue parlementaire, on sent dans cette lettre la pression exercée par l’ascendant de Beaumarchais ; c’est lui qui maintenant va donner une leçon de dignité à ce juge, son ennemi, en écrivant à son tour au premier président une lettre dont j’extrais ces quelques lignes :


« Monseigneur,

« J’ai l’honneur de vous adresser une copie de la lettre apologétique que j’ai reçue de M. Gin. Mon profond respect pour la cour m’empêche de donner à cette lettre la publicité que ce magistrat semblait d’abord désirer qu’elle reçût, persuadé qu’en y réfléchissant mieux il me saura gré de renoncer au projet de l’imprimer avec mon commentaire. »


Quoi de plus étrange, en effet, pour le temps que de voir un juge demander lui-même à un accusé dont les mémoires sont en contravention avec la loi et seront tout à l’heure condamnés à être brûlés, de lui accorder dans ces mémoires une place pour sa justification auprès du public ? Je ne connais rien qui donne une idée plus nette que cette lettre du conseiller Gin de la situation de Beaumarchais à la fin de ce fameux procès.

Cependant, si la peur agissait sur quelques magistrats du parlement Maupeou, la colère subsistait chez le plus grand nombre à l’état latent, et ils voyaient avec joie approcher l’heure de la vengeance. Le jour du jugement arriva enfin, le 26 février 1774, au milieu de l’attente universelle. « Nous attendons aujourd’hui, écrit Mme  du Deffand à Walpole, un grand événement : le jugement de Beaumarchais… M. de Monaco l’a invité ce soir pour nous faire la lecture d’une comédie de sa façon qui a pour titre le Barbier de Séville… Le public s’est affolé de l’auteur, on le juge tandis que je vous écris. On prévoit que le jugement sera rigoureux, et il pourrait arriver qu’au lieu de souper avec nous il fût condamné au bannissement ou même au pilori ; c’est ce que je vous dirai demain. »

Voilà bien la dose d’intérêt que Mme  du Deffand prenait aux gens. Quel dommage pour elle si Beaumarchais eût été condamné au pilori !

  1. C’est ce magistrat qui avoue à Beaumarchais l’influence qu’ont exercée les bruits publics sur son jugement dans le procès La Blache. L’aveu est précieux à recueillir. — « Soit raison, écrit-il, ou suite des impressions que les bruits publics, même calomnieux, laissent dans les esprits, je ne vous dissimule pas, etc. »