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avoir besoin. Chacun lui apportait des idées, des notes, quelquefois même des morceaux ; il changeait, transformait, fondait tout cela, imprimant à tout le cachet de son esprit facile, animé, flexible et mordant.


III. — LES AMIS DE BEAUMARCHAIS. — LA SENTENCE.

Ce ne sont point, à l’exception de Gudin, des littérateurs de profession qui viennent en aide à Beaumarchais dans sa lutte contre Goëzman ; ces collaborateurs sont ses parens et ses amis les plus intimes. C’est d’abord le père Caron, qui, avec ses soixante-seize ans, donne encore son avis sur les mémoires de son fils ; c’est sa sœur Julie, dont on connaît maintenant la vocation littéraire, et dont nous allons montrer l’intervention dans les mémoires contre Goëzman ; c’est M. de Miron, le beau-frère de Beaumarchais, homme d’esprit dont nous avons parlé ailleurs, et qui fournit des notes pour la partie satirique ; c’est Gudin, qui, très-fort sur l’histoire ancienne, aide à composer quelques morceaux d’érudition, et dont la prose lourde et pâle s’assouplit et se colore sous la plume de son ami ; c’est un jeune avocat très-distingué, nommé Falconnet, qui surveille la rédaction de l’auteur quand il s’agit de questions de droit ; c’est enfin un médecin provençal, nommé Gardanne, qui dirige spécialement la dissection des deux Provençaux, ses compatriotes, Marin et Bertrand.

Telle est la petite phalange que Mme Goëzman, dans ses mémoires, appelle une clique infâme, et que le grand Bertrand, moins féroce et plus sensé, nomme tout simplement la bande joyeuse. Ils sont en effet assez joyeux, tous ces bourgeois spirituels, groupés autour de Beaumarchais, combattant avec lui contre une foule d’ennemis, et non sans courir quelques dangers personnels, car Julie notamment fut dénoncée en forme par le conseiller Goëzman : il y a une requête imprimée de ce juge dirigée spécialement contre elle, mais qui n’eut pas de suite. Tous, du reste, ont subi interrogatoires, confrontations et récolemens ; ils ne s’en portent pas plus mal, et leur gaieté entretient le courage et l’ardeur de l’homme auquel ils sont dévoués corps et âme. Le quartier-général n’est pas chez Beaumarchais. Depuis la perte du procès La Blache, il a rompu sa maison : il a placé sa sœur Julie comme pensionnaire libre à l’abbaye Saint-Antoine ; son père est en pension chez une vieille amie ; deux autres sœurs sont dans un couvent de Picardie. Quoique ses affaires soient très-dérangées, il n’en continue pas moins, comme toujours, à pensionner toute sa famille. Quant à lui, il vit en camp volant, aux prises avec les huissiers du comte de La Blache et les décrets d’ajournement personnel du juge Goëzman. Toujours courant, toujours