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chais poussé à bout s’avancer gaiement et résolument contre ce sycophante, l’aborder de face, l’accabler de coups pressés et vigoureux, on applaudissait avec fureur ; on lui pardonnait même, après l’avoir terrassé, de le fouler aux pieds sans miséricorde.

Tout le monde a lu ce beau début du quatrième mémoire, le plus remarquable de tous, où l’auteur, trouvant le secret de rajeunir un sujet qui semblait épuisé, se suppose engagé dans un colloque avec Dieu même, qui lui dit : « Je suis celui par qui tout est ; sans moi tu n’existerais point ; je te douai d’un corps sain et robuste, j’y plaçai l’âme la plus active : tu sais avec quelle profusion je versai la sensibilité dans ton cœur et la gaieté sur ton caractère ; mais, pénétré que je te vois du bonheur de penser, de sentir, tu serais aussi trop heureux si quelques chagrins ne balançaient pas cet état fortuné : ainsi tu vas être accablé sous des calamités sans nombre, déchiré par mille ennemis, privé de ta liberté, de tes biens, accusé de rapines, de faux, de corruption, de calomnie, gémissant sous l’opprobre d’un procès criminel, garrotté dans les liens d’un décret, attaqué sur tous les points de ton existence par les plus absurdes on dit, et ballotté longtemps au scrutin de l’opinion pour décider si tu n’es que le plus vil des hommes ou seulement un honnête citoyen. » Beaumarchais se prosterne, accepte sa destinée, et demande à Dieu de lui accorder au moins des ennemis tels qu’ils puissent seulement exercer son courage sans l’abattre, et il part de là pour les passer tous encore une fois en revue et les peindre au complet. Nous ne citerons que le paragraphe où il demande à Dieu de lui donner Marin : « Je désirerais, dit-il, que cet homme fût un esprit gauche et lourd, que sa méchanceté maladroite l’eût depuis longtemps chargé de deux choses incompatibles jusqu’à lui : la haine et le mépris public ; je demanderais surtout qu’infidèle à ses amis, ingrat envers ses protecteurs, odieux aux auteurs dans ses censures, nauséabond aux lecteurs dans ses écritures, terrible aux emprunteurs dans ses usures, colportant les livres défendus, espionnant les gens qui l’admettent, écorchant les étrangers dont il fait les affaires, désolant pour s’enrichir les malheureux libraires, il fût tel enfin, dans l’opinion des hommes, qu’il suffît d’être accusé par lui pour être présumé honnête, son protégé pour être à bon droit suspect : donne-moi Marin. »

On ne sera peut-être pas fâché de savoir comment Marin apprécie ce morceau. Il demande au parlement la tête de Beaumarchais, non pas précisément pour l’avoir insulté, lui, Marin, — il est trop désintéressé pour s’occuper de sa propre injure, — mais pour avoir insulté la Divinité par une imprécation scandaleuse et un badinage impie. À la fin de sa requête, il insiste encore sur cette prière sacrilège que le sieur Caron fait à la Divinité en lui demandant de coopérer