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quérir une sorte de situation. Toutefois, comme leur crédit n’a aucune base, ni littéraire ni morale, il s’ébranle et s’écroule à la première secousse. Sorti, comme dit Beaumarchais, du préceptorat, il avait obtenu le privilége lucratif de la Gazette de France, où il avait perfectionné ce genre de nouvelles auxquelles on donne aujourd’hui le nom d’un oiseau de basse cour, et qu’on nommait alors des marinades[1]. Il était de plus censeur, chef du bureau de la librairie, agent du chancelier Maupeou pour la confection et la distribution des brochures destinées à soutenir les nouveaux parlemens. On assurait de plus que, comme il aimait à manger à plusieurs râteliers, il faisait également circuler sous le manteau les brochures très recherchées et très prohibées des adversaires du chancelier. Il passait aussi, à tort ou à raison, pour prêter de l’argent à gros intérêts et pour diriger des bureaux de nouvelles à la main où l’on vendait la diffamation au plus juste prix. En un mot, c’était un de ces publicistes dont l’espèce n’est peut-être pas absolument perdue. Il n’en était pas moins une manière de personnage assez influent pour que Voltaire, dans un jour de bonne humeur, ait eu l’idée de le patronner comme candidat à l’Académie. « Les Gaillard, écrit-il à Duclos le 22 décembre 1770, les Delille, les La Harpe sont sur les rangs, et ils ont des droits véritables ; mais s’il est vrai qu’il y ait des difficultés pour l’un d’eux, je vous recommande très instamment M. Marin, qui joint à ses talens le mérite de rendre continuellement service aux gens de lettres. »

Les petits services que Marin rendait à Voltaire consistaient à faire arriver, sous son couvert de chef du bureau de la librairie, les ouvrages prohibés du philosophe, qu’il colportait lui-même dans les grandes maisons, ce qui ne l’empêchait pas de faire, pour l’exemple, envoyer de temps en temps aux galères de pauvres diables de colporteurs coupables du même délit que lui. Du reste, il est instructif d’étudier Voltaire dans ses rapports avec Marin : on y voit combien il épousait peu les causes perdues, car il le renie et le bafoue à

  1. Marin portait le goût de l’invention jusque dans les documens semi-officiels. C’est ainsi que dans un prétendu recensement de la population il avait presque doublé les chiffres. On fit sur lui, à ce sujet, l’épigramme suivante :

    D’une gazette ridicule
    Rédacteur faux, sot et crédule,
    Qui, bravant le sens et le goût,
    Nous racontes sans nul scrupule
    Des contes à dormir debout,
    À ton dénombrement immense,
    Pour que l’on pût ajouter foi,
    Il faudrait qu’à ta ressemblance
    Chaque individu fût en France
    Soudain aussi double que toi.