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lorsqu’un homme sorti de leur sein, le chancelier Maupeou, caractère audacieux et obstiné, entreprit de les soumettre ou de les briser.

Appuyé sur la faveur de Mme  Du Barry, qui gouvernait le roi et qu’animait le ressentiment du duc d’Aiguillon flétri par un arrêt du parlement de Paris, le chancelier Maupeou arrache à l’hésitation de Louis XV l’édit du 7 décembre 1770, qui changeait toute l’organisation des parlemens ; celui de Paris proteste et repousse l’édit. Le chancelier, au lieu de suivre la marche ordinaire, casse le parlement, confisque les charges des magistrats, les exile, et installe un nouveau parlement composé des membres du conseil d’état. Les onze parlemens de province adressent au roi les remontrances les plus véhémentes ; celui de Normandie va jusqu’à rendre un arrêt qui déclare intrus, parjures et traîtres les membres du nouveau parlement, et nuls tous les actes émanés de ce tribunal bâtard. Tous les princes du sang, à l’exception d’un seul, refusent de reconnaître le parlement établi par Maupeou ; treize pairs adhèrent à cette protestation. La cour des aides proteste également par la voix éloquente de Malesherbes. Le chancelier fait tête à l’orage ; il fait interdire l’entrée de la cour aux princes dissidens ; il casse la cour des aides, casse successivement tous les parlemens de province, et les remplace au milieu d’une fermentation inouïe. « Ce n’est pas un homme, écrit Mme  Dudeffand, c’est un diable ; tout est ici dans un bouleversement dont on ne peut prévoir quelle sera la fin… c’est le chaos, c’est la fin du monde. » Briser ces corps antiques et redoutables dont l’existence semblait inséparable de la monarchie, c’était en effet une entreprise des plus hasardeuses. Le chancelier avait eu soin de la colorer, aux yeux des masses, en y mêlant quelques réformes importantes depuis long-temps réclamées par l’opinion : l’abolition de la vénalité des charges, l’abolition des épices payées aux juges, la distribution gratuite de la justice, l’établissement de cours souveraines plus nombreuses, la diminution des ressorts trop étendus, de manière à rapprocher les justiciables des tribunaux chargés de les juger. Ce sont sans doute ces réformes qui, combinées avec la rancune qu’il gardait aux anciens parlemens, déterminèrent Voltaire à se ranger du côté du chancelier ; mais il ne fut pas suivi dans ce mouvement, et si la masse du peuple resta assez indifférente au coup d’état, toute la partie éclairée de la nation refusa d’accepter quelques avantages de détail achetés au prix d’une servitude honteuse et se prononça avec énergie pour la magistrature détruite. Ce fut bientôt un déchaînement de fureurs, de sarcasmes et de pamphlets[1] contre le roi, sa maîtresse, Mau-

  1. On trouve dans Bachaumont la mention ou la reproduction de la plupart de ces innombrables pamphlets en prose et en vers.