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Pottinger comprit que le moment était venu de pousser vigoureusement les opérations et d’en finir avec ce système de conventions provisoires qui aurait dû lasser plus tôt la patience du capitaine Elliot. La campagne qu’il entreprit immédiatement, avec la ferme résolution de ne déposer les armes que devant une capitulation régulière, aboutit, en peu de mois, à la signature du traité de Nankin. L’île de Chusan fut occupée de nouveau ; Amoy, Koolongsou, Chinhae, Ningpo, Changhai, Chapou, tombèrent successivement au pouvoir des troupes que les steamers de l’escadre transportaient de victoire en victoire, à la grande stupéfaction des Chinois, émerveillés de voir des navires sans voiles marcher contre le vent ou remonter le courant des fleuves. Les mandarins ne se faisaient aucun scrupule de placer sous les yeux de l’empereur le récit de leurs prétendus triomphes ; leur style nous est connu. Cependant, à mesure que l’ennemi pénètre au cœur de l’empire, les généraux ne paraissent plus aussi sûrs d’eux-mêmes ; on peut en juger par les stratagèmes étranges à l’aide desquels ils comptent avoir raison des Anglais et qu’ils laissent discuter sérieusement dans leur camp. Il faut, dit l’un, envelopper les barbares dans des nuages de fumée et les attaquer à l’improviste. Un autre propose d’expédier une troupe de plongeurs qui brisera les gouvernails et pratiquera des voies d’eau en perçant les coques des navires. Celui-ci demande que l’on prohibe l’exportation du soufre et du salpêtre, afin d’enlever aux Anglais les moyens de fabriquer de la poudre. Le vertige s’emparait ainsi de toutes les têtes, et il enfantait les idées les plus grotesques. On trouva un placard qui engageait les Anglais à retourner dans leur pays pour y avoir soin de leurs vieux parens. Ce conseil était sincère, car les Chinois pratiquent religieusement les devoirs de la piété filiale. Dans une autre proclamation, le général Yiking garantissait aux cypayes la vie sauve, s’ils s’abstenaient de tirer sur les Chinois, et ils promettait le bouton de mandarin à ceux qui livreraient un officier. Il avait appris que les cypayes, les hommes noirs, comme il les appelait, appartenaient à une race conquise par les Anglais ; il pensait donc qu’ils saisiraient avec empressement l’occasion de se débarrasser de leurs maîtres. — Enfin, dit sir John Davis, on ramassa, dans un camp que les Chinois venaient d’abandonner, la copie d’une lettre adressée au général anglais pour l’inviter à remettre son armée entre les mains de Yiking, lequel, en retour d’un si grand service, le recommanderait très-vivement aux bonnes grâces du fils du ciel (l’empereur), — Voilà où en étaient réduits ces infortunés mandarins ; ils ne savaient plus comment éloigner les barbares : menaces, prières, conseils, mensonges, tout échouait contre les progrès de l’invasion ; il fallait donc affronter le courroux impérial, plus redoutable mille fois que l’armée ennemie. On vit alors les généraux, et même les autorités civiles, préférer le suicide à l’aveu d’une défaite. Ces incidens devinrent de plus en plus fréquens. Ajoutons cependant que les suicides, en Chine, ne sont pas toujours mortels. Après l’assaut de Tinghae (Chusan), le magistrat civil prit la fuite avec la caisse, et se réfugia dans une île voisine ; mais, au sortir de la ville, il eut soin de déposer sur le bord d’un canal son costume de cérémonie et ses grandes bottes de mandarin. On crut qu’il s’était noyé de désespoir, et il passa naturellement pour un héros ! N’était-ce pas bien joué ?… Par malheur, au bout de quelque temps, l’espièglerie fut découverte, et notre mandarin, convaincu