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même cérémonie à Pékin par quatre princes de la maison impériale. Il publia ensuite plusieurs édits annonçant au peuple que les Anglais étaient anéantis, leurs soldats noyés et leurs navires coulés. En réalité, l’escadre avait réparé très-promptement ses avaries. et le cabinet de Londres venait de placer à la tête de l’expédition un nouveau chef, sir Henry Pottinger, qui devait causer aux mandarins et à l’empereur tant de cruelles insomnies !

Les récits qui précèdent ne nous ont laissé voir que les correspondances échangées entre les généraux chinois et l’empereur Tao-kwang : au-dessous de ces nobles personnages, qui, par ignorance ou par calcul, composaient des narrations si divertissantes, que disait et que pensait le peuple? On admet à la rigueur que Tao-kwang, relégué dans sa capitale au fond d’un palais entouré de plusieurs murailles, ait été plus ou moins longtemps dupé par ses plus fidèles serviteurs, et qu’il ait ajouté foi aux bulletins de victoire qu’on lui adressait de si loin; mais les Chinois, les soldats qui étaient si rudement menés par les troupes anglaises, les habitans du littoral, qui voyaient passer et repasser à l’horizon l’escadre des barbares ; les citoyens de Canton, qui avaient entendu le canon de l’ennemi et qui venaient de payer argent comptant leur dernière défaite; en un mot ces millions d’hommes, acteurs ou témoins dans les différens épisodes de la lutte, pouvaient-ils conserver la moindre illusion et croire encore à l’invincible majesté du Céleste Empire? Eh bien! tous les documens établissent que les masses populaires, si promptes à fuir devant les forces anglaises, ne perdaient rien de leur imperturbable confiance. Ces désastres matériels dont il eût été bien difficile de contester les déplorables effets, on les attribuait à l’incapacité des chefs, à la faiblesse de Kichen, qui n’avait pas su rassembler à temps les troupes impériales, à la trahison d’un grand nombre de Chinois qui s’étaient glissés dans les rangs ennemis. Ce dernier motif se trouvait reproduit, par une préférence singulière, dans la plupart des manifestes que les lettrés de Canton adressaient à la populace, en paraphrasant les maximes de Confucius. Les Chinois demeuraient ainsi persuadés qu’ils n’avaient pu être vaincus que par des Chinois, et ils prenaient volontiers à leur compte des triomphes déshonorés par la trahison. L’escadre britannique avait à peine-quitté les eaux du Chou-kiang, que les murailles de Canton furent couvertes de placards où l’orgueilleux pinceau des lettrés vengeait en ces termes l’honneur national : « Nous sommes les enfans de l’Empire Céleste, et nous sommes assez forts pour défendre notre pays. Nous n’avons pas besoin de nos mandarins pour vous exterminer, et vous avez comblé la mesure de vos crimes. Si le traité signé par nos chefs n’avait point mis obstacle à nos projets, vous auriez éprouvé la puissance de nos bras. N’ayez plus l’audace de nous offenser, car nous sommes décidés à faire un exemple. Vous ne pourriez cette fois nous échapper. » Ces déclamations ridicules, avidement lues et chaudement applaudies par la populace, n’expliquent-elles pas les mensonges officiels que les mandarins entassaient dans leurs dépêches? Dès que l’ennemi n’était plus là, les habitans de Canton se croyaient sincèrement victorieux. Comment les chefs auraient-ils tenu un autre langage? Ils écrivaient pour ainsi dire sous la dictée de l’enthousiasme populaire, et ils annonçaient sur la foi des placards que les Anglais allaient être foudroyés.

Investi du commandement supérieur de l’expédition britannique, sir Henry